Chapitre XIV. Alain Gerbault à Wallis (1926)
p. 86-92
Texte intégral
11926 était l’année du Jubilé dans le monde entier1. A Wallis, les exercices en furent célébrés dans les trois paroisses : à Mua, du 13 au 20 juin2 ; à Hihifo, du 25 au 31 juillet ; à Matautu, du dimanche 22 au 29 août. Selon l’habitude, ces exercices furent des retraites paroissiales ; les fidèles, dans l’ensemble, eurent à cœur de se rendre aux cérémonies et instructions qui avaient lieu chaque jour à l’église et aussi de s’approcher des sacrements. Les missionnaires des autres paroisses venaient aider le clergé de celle où avaient lieu ces exercices, en particulier pour les très nombreuses confessions.
2C’est l’avant-veille de l’ouverture du Jubilé à Matautu, le 20 août, qu’arriva le célèbre navigateur Alain Gerbault, qui devait rester près de quatre mois, jusqu’au 10 décembre.
3Le missionnaire de Matautu apprit par un indigène l’arrivée d’un Français qu’il appelait Selepo. Ne comprenant pas de qui il s’agissait, il consulta le chancelier qui s’écria joyeusement : « Mais c’est Gerbault ! ». Les journaux de France, d’Amérique et d’ailleurs avaient en effet déjà rendu son nom célèbre. Voici ce qu’en dit le registre paroissial de Matautu :
« 20 août : arrivée d’Alain Gerbault, seul sur son voilier à un mat. Ancien élève du collège Stanislas et de l’École des Ponts et Chaussées, ancien aviateur de guerre (six avions allemands descendus par lui), 32 ans. Parti de France, seul sur son bateau, il a traversé l’Atlantique, le canal de Panama et le Pacifique jusqu’à Tahiti, Samoa et Wallis. Il a alors un accident à son arrivée ici : la quille en plomb de son bateau se détache. En outre, la nuit qui suit son arrivée, un coup de vent fait échouer son bateau sur la plage de Matautu. Impossible de le réparer avant l’arrivée d’un navire3. Ayant étudié à fond l’histoire de la Polynésie et les dialectes polynésiens, il se trouve tout à fait chez lui dans le Pacifique. Il adopte la mode indigène : un vala (pagne) pour tout vêtement (RMT). »
4La plupart de ces renseignements proviennent d’Alain Gerbault. Tous les missionnaires de Wallis furent heureux de la voir, en particulier à Lano, où il fut invité plusieurs fois (JF).
5Dès l’arrivée d’Alain Gerbault, le Dr Barbier se mit à sa disposition et lui donna l’hospitalité à la résidence. Le commerçant M. Julien Brial vint aussi à son aide. Sur la demande du résident le roi fit appel à soixante indigènes pour les travaux urgents nécessités par la sécurité du Firecrest.
6Le navigateur solitaire dut alors se résoudre à attendre l’arrivée d’un navire qui put renflouer son bateau et peut-être le réparer. On conçoit ses inquiétudes : « Je ne pouvais donc qu’attendre et espérer, écrira-t-il, me consoler aussi de mon escale forcée par le charme d’une île que son isolement avait rendue fort intéressante4. »
7Le roi et les chefs l’invitèrent bientôt à une réception qui fut chaleureuse : cérémonie du kava, offrande de présents, discours de bievenue, tout était pour lui plaire5. Peu à peu il fit plus ample connaissance avec les Wallisiens ; il se mit à initier sur la place de Matautu, le dimanche, des jeunes gens à des parties de football. Il se mit aussi à visiter assez souvent, le soir, les jeunes gens du kolesis de la paroisse de Matautu. Il y savourait des danses wallisiennes exécutées par eux. « J’étais là un peu chez moi, dira-t-il, entouré de soins, de prévenances et d’affection6. Mais trompé peut-être par certains rapports, il interprète mal la raison d’être de ce kolesio (collège), œuvre pour la jeunesse, organisée depuis longtemps par la mission. « Ce n’était en somme, explique-t-il, qu’un cercle de célibataires, où les missionnaires avaient rassemblé et séparé de leurs familles tous les adolescents du village et les employaient aux différents travaux des missions. »
8En revanche, il fait l’éloge des sœurs : « Il y avait dans l’île, écrit-il, trois sœurs de charité françaises, modèles de grand dévouement et de désintéressement profond. » C’étaient les sœurs du tiers-ordre régulier de Marie : sœur Marie Thomas d’Aquin, résidant à Matautu, sœur Marie-Timothée, à Mua, et sœur Marie-Emmanuel, à Sofala7.
9Dans une lettre au gouverneur de la Nouvelle-Calédonie du 20 février 1927, Gerbault dira des pères : « Les missionnaires qui ont su se faire aimer des enfants, pour lesquels ils sont très gentils, sont en général aimés et respectés8. »
10Lui-même, durant son séjour à Wallis, se fit de vrais amis, entre autres Fakate (Lafaele), chef du village de Ahoa, un de ceux qui auraient souhaité avoir Gerbault pour roi9.
11La Pervenche, arrivée le 26 septembre, permit à Alain Gerbault, malgré le mauvais fonctionnement de son appareil de T. S. F., de se faire tout de même entendre du poste d’Apia, à Samoa. Il put ainsi envoyer un radio à son « ami Pierre Albarran » à Paris, pour demander au ministère de la Marine le passage à Wallis de l’aviso Cassiopée, stationnaire du Pacifique, seul moyen d’après lui, de renflouer le Firecrest10. Un message du même ordre fut aussi envoyé au commandant de la Cassiopée, à Tahiti11.
12Alain Gerbault doutait que ses démarches aboutissent. En attendant, il continuait à fréquenter les Wallisiens comme des amis. Le soir de l’arrivée de la Pervenche (le 26 septembre), il se rendit au presbytère de Matautu et y donna aux enfants, jeunes gens et nombre d’adultes attirés par la nouveauté, une séance de cinéma Pathé-Baby. De son côté, la Pervenche avait apporté un appareil de cinéma proprement dit, et dès le lundi 27 septembre, eut lieu chaque soir une séance de cinéma chez M. Brial, sauf le mercredi 29 septembre, où elle fut donnée au séminaire de Lano (RMT).
13La Pervenche reprit la mer le 8 octobre et, huit jours plus tard, arrivait de Fiji le steamer habituel de la Compagnie Bums Philps. Toujours perplexe sur la future arrivée de la Cassiopée. Gerbault tenta avec l’aide du mécanicien et d’une cinquantaine de Wallisiens la très difficile opération du renflouement. Le roi Tomasi lui-même voulut mettre la main à ce travail. On réussit avec grand peine à fixer, vaille que vaille, la quille en plomb du bateau, mais dans des conditions qui interdisaient un long voyage.
14Après une semaine de repos, Gerbault allait poursuivre les opérations : « Je pouvais compter, écrira-t-il, sur le concours absolument amical et volontaire de mes amis les jeunes gens du collège de Matautu12 »
15Mais voilà que le 7 novembre13 arriva la Cassiopée, ce fut pour lui une grande joie.
16On consolida aussitôt la quille du Firecrest avec de nouveaux boulons. Le travail très difficile fut, grâce à d’excellents mécaniciens spécialistes, exécuté en un temps record, la durée du séjour de l’aviso se trouvant très limité ; mais l’extrême bonne volonté de l’équipage devait triompher de toutes les difficultés. Le commandant et ses officiers travaillaient eux-mêmes, parfois dans l’eau jusqu’à la ceinture14.
17Durant ce travail, les soucis d’Alain Gerbault ne lui faisaient pas oublier « les jeunes gens de Matautu, avec lesquels il s’était lié d’amitié ». Il s’entendit avec eux pour offrir dans la maison du « collège » de cette paroisse « un dîner indigène aux officiers du navire de guerre », avec les provisions qui lui avaient été présentées par les chefs15.
18Dès le soir du 8 novembre, le Cdt Decoux, après une visite au séminaire de Lano, vint « avec tous ses officiers » au kolesio de Matautu où, allongés sur des nattes, ils goûtèrent aux mets wallisiens, admirablement préparés à la façon du pays ; puis ils eurent le spectacle de danses indigènes « sauvages et barbares, pleines de gaieté et de mouvement », que leur offrirent les aînés des jeunes gens, « soigneusement enduits d’ocre rouge, parés de colliers de fleurs et de guirlandes de feuillages16 ».
19Le Pule (chef) du collège Amasio fit ensuite un petit discours qui contenait ces mots (« preuve, écrira Gerbault, de la délicatesse de pensée de mes amis ») : « Tu sais, nous n’avons pas utilisé les provisions qui t’avaient été données par les chefs, car nous voulions que tu les gardes pour toi, et nous avons tenu à offrir nous-mêmes à tes amis tout ce qui était nécessaire pour les recevoir17. »
20Le lendemain, 9 novembre, les jeunes gens du collège de Matautu, accompagnés du curé de cette paroisse, furent reçus à bord de la Cassiopée, où on leur fit visiter le navire, écouter un gramophone et même goûter du vin, boisson nouvelle pour eux, trop nouvelle pour quelques-uns, mais qui les mit en pleine forme pour intéresser ensuite l’équipage par leurs chants et leurs danses (RMT).
21Enfin le 10 novembre, après trois jours de travail intense, même de nuit, les réparations essentielles du Firecrest étaient terminées, et la Cassiopée s’éloigna, laissant à Alain Gerbault « un souvenir inoubliable du bon vouloir avec lequel la marine de guerre française » était venue à son secours (RMT).
22Avant de pouvoir, à son tour, reprendre la mer, Gerbault dut encore rester trois semaines à Wallis pour mettre en état le gréement du Firecrest18.
« Pendant cet intervalle de temps, dira-t-il, je devais me lier encore plus avec les indigènes. La venue de la Cassiopée avait encore renforcé mon prestige, et de nombreuses fêtes furent organisées en mon honneur dans tous les villages de l’île... »
23Aussi le voyait-on parfois rentrer à Matautu la poitrine découverte, encore ruisselante de l’huile de coco parfumée dont on l’avait oint.
« Ma réception à l’île Wallis, ajoute-t-il, devait dépasser de loin toutes celles qui m’avaient été faites pendant ma croisière. C’est là que les indigènes me firent l’honneur suprême de me demander de devenir leur chef et de rester parmi eux. Je ne voulus pas accepter, mais cette offre devait m’attacher à l’île par un lien spirituel (ib., pp. 62-63). »
24Parmi ces fêtes données à Alain Gerbault, le registre paroissial de Matautu signale un petit katoaga qui lui fut offert au presbytère de cette paroisse le 29 novembre par ses amis les jeunes gens du « collège » et auquel le résident et le roi Tomasi assistèrent.
25Dans le même registre, quelques lignes confirment le témoignage du navigateur sur les réceptions qui lui furent faites partout dans l’île, et qui ouvre aussi les pages d’une autre histoire, celle des revendications de nombreux Wallisiens, qui suscitèrent quelques troubles au mois de décembre 1926 et au début de l’année 1927.
26On lit en effet le 7 décembre 1926 :
« Ces temps derniers eurent lieu des katoaga offerts à Gerbault dans différents villages. Il a su leur plaire. On lui a demandé d’appuyer certaines revendications, les unes peut-être justes, d’autres exagérées, auprès du gouvernement français. Il s’y est prêté en partie. Des pétitions, truquées semble-t-il, lui ont été remises, sans doute par de fortes têtes (RMT). »
27Gerbault écrira au gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, le 20 février 1927 :
« Au cours de mon séjour de quatre mois, je me suis trouvé, un peu malgré moi, mêlé à la vie politique du pays (...).
Le Dr Barbier me reçut fort bien et fit tout son possible pour me faciliter le renflouement et les réparations de mon navire (...). La réception des indigènes, pourtant, restera pour moi inoubliable et surpasse encore celles que m’avaient faites à mes autres escales les Polynésiens, pourtant si généreux (...).
Aussi lorsque les indigènes me demandèrent de transmettre une pétition, je fus très heureux, en acceptant, de pouvoir leur rendre service (...).
Cette pétition, rédigée en langage uvéen, est suivie de près de cint cents noms, et lorsque je l’eus fait traduire, je fus frappé de l’extrême modération des demandes (...).
Après une énumération des différentes taxes et corvées dont la population est chargée, le texte est :
Et notre cri monte vers toi, M. Gerbault, car nous sommes malheureux ; nous savons que tu nous aimes, et nous désirerions que tu fasses cesser les fatogia fakauvea19.
Quant à ce qui est des choses de la religion, qu’on laisse cela à nous : nous sommes catholiques, nous aimons nos missionnaires, nous ne les laisserons manquer de rien, mais nous ne voulons pas être obligés de leur donner par les chefs.
La demande se terminait par une proposition extrêmement flatteuse pour moi, mais que je ne pouvais accepter (celle de l'élire pour roi de Wallis). »
28Le Dr Barbier aura alors écrit, le 23 novembre, au gouverneur au sujet de cette pétition :
« Le commandant de la station navale m’a informé à son passage que M. Gerbault s’était vanté à lui-même de détenir une pétition portant « 700 signatures », dans laquelle les indigènes se plaignent en particulier, d’être astreints à des travaux ou à des corvées en dehors des travaux décidés et prescrits par notre administration, et de l’internat des jeunes gens (...). Je pense que sur les signatures, la grande majorité est constituée par des enfants20. »
29Gerbault dit encore :
« Au cours d’un entretien amical que j’eus avec le R. P. Fillion, dans lequel je lui avais exposé l’impopularité de la fatogia fakauvea, il m’avait paru extrêmement stupéfait, m’avait affirmé que la pétition qui m’avait été transmise ne pouvait représenter qu’une faible minorité et que ces signatures étaient certainement fausses. »
30Le P. Fillion eut, en effet, une « longue » conversation sur le sujet, qui semble bien être celle dont parle Gerbault : elle eut lieu le 26 novembre, à bord du Firecrest, que le P. Fillion était allé visiter avec un certain nombre de séminaristes (JF). Dans cette pétition aurait figuré : l’annexion de Wallis à la France, la création d’une prison à Wallis pour supprimer toute déportation à la Nouvelle Calédonie, le paiement des travaux accomplis pour le gouvernement. Cette pétition, Gerbault avait-il l’intention de la transmesttre au gouverneur et de le prier de faire consulter la population par un interprète pris en-dehors de la résidence ? Il lui demanderait aussi la grâce des quatre déportés signalés au chapitre précédent. Enfin, que cette pétition leur recueillit huit cent-vingt signatures, Fillion ne le croit pas.
31A la suite de cette conversation, Alain Gerbault s’informa de l’authenticité des signatures de la pétition.
« Lorsque je fis part de ces doutes à mes amis, écrira-t-il au gouverneur, ils voulurent me prouver qu’ils avaient dit la vérité en affirmant représenter l’opinion de tout le pays, et quelques jours avant mon départ, toute la population mâle d’Uvéa se trouvait réunie sur la place de Matautu pour exposer ses revendications au roi et au résident de France.
La veille, le roi Lavelua m’avait demandé, en présence de M. Brial, qui servait d’interprète, des renseignements au sujet de la pétition que ses sujets m’avaient remise, et qu’il croyait dirigée contre lui. Lorsque je lui eus expliqué l’impopularité dont jouissaient les fatogia fakauvea, il m’affirma son désir de satisfaire les demandes de son peuple.
Ici prit fin mon action à Uvéa21. »
32D’après le registre paroissial de Matautu, cette réunion de « toute la population mâle d’Uvéa », comme dit Gerbault, eut lieu le mardi 7 décembre. Le registre parle seulement « d’une centaine d’hommes de divers villages réunis chez le roi pour revendications (suppression des fatogia, réclamation concernant le collège de Lano, etc.) ».
33Ce collège de Lano, distinct du séminaire, était un internat de jeunes gens, sis au bord du lac Alofivai, dont parle la lettre du Dr Barbier et en faveur duquel le gouverneur Guyon, lors de sa visite, avait décidé de leur faire allouer 200 F par mois22.
34Quant au meeting du 7 décembre 1926, le registre de Matautu continue :
« Le roi, débordé, demande au résident de venir. On va jusqu’à réclamer l’annexion à la France et la suppression du gouvernement indigène. Le résident ramène le calme. Suit ce qui concerne les fêtes organisées en l’honneur d’Alain Gerbault dans les divers villages et les pétitions qui lui ont été remises ; puis la conclusion : d’où ce meeting inattendu, sentant un peu la révolution mais qui n’a pas eu de sérieuses conséquences (RMT). »
35Trois jours après, le vendredi 10 décembre, Alain Gerbault reprenait la mer sur son Firecrest remis à neuf, pour poursuivre son voyage de retour en France, par Fiji et la Nouvelle-Guinée (RMT).
« Je ne décrirai pas, écrit-il lui-même, tous les adieux qui me furent faits et la tristesse de me séparer d'un pays auquel je restais si profondément attaché et dont je devais m'éloigner, car la mer, de nouveau, m’attirait et je ne pouvais résister à son appel.23 »
36Quelque temps après, il écrivait de Fiji la lettre suivante à Fakate, chef du village de Ahoa :
« Selepo, qui est chef sur l’océan, à son ami Fakate, chef de Ahoa,
O Fakate mon ami,
Peut-être as-tu été triste quand la goélette de Levuka ne t’a pas apporté de lettre de moi ? Maintenant, tu vois que je ne t’oublie pas. Je suis triste d’avoit quitté Uvéa, je pense souvent à vous, et je m’occupe de ce que je vous avais promis.
Je suis encore à Suva, mais mon navire est entièrement réparé et prêt à repartir sur l’Océan. Les sièges du salon sont recouverts par les gatu (tapas) d’Uvéa. Je dors sur vos nattes et je bois le kava dans la coupe que tu m’as donnée.
Ainsi ma pensée ne quitte pas Uvéa.
Je suis triste de repartir vers les grands pays qu'habitent les Blancs, mais il le faut pour pouvoir revenir un jour.
O Fakate, toi qui fus mon ami pendant mon séjour, transmets mon message d’amour à tous mes amis, à Kuli Titako, Pelenato, Apolosio, aux enfants du collège de Matautu, à tous ceux que j’ai connus, et avec une prière : Conservez vos vieilles coutumes et vos traditions, qui sont meilleures pour vous que celles des hommes blancs. Bien des joies sont inconnues à ceux qui marchent avec des souliers et mangent avec des fourchettes. La lutte pour gagner l’argent produit seulement la haine. Et c’est en vous aimant et en vous aidant les uns les autres, en travaillant seulement vos plantations pour avoir la nourriture, et surtout en jouant et en vivant joyeusement sous le soleil, que vous pouvez être heureux dans votre beau pays d’Uvéa.
Selepo (Alain Gerbault)24. »
37Alain Gerbault avait confié au missionnaire de Matautu ses plans d’avenir25. Après son retour au Havre, trois ans plus tard le 26 juillet 1929, il se ferait construire un nouveau bateau, de dimensions plus réduites, d’après son expérience. Puis il reprendrait la mer Méditerranée, visiterait les îles de la Grèce et se rendrait, par Suez, jusqu’en Chine, d’où il reviendrait directement sur Wallis. Après un certain temps de séjour dans cette île, il se rendrait aux Marquises et y établirait sa demeure définitive, rayonnant de là à travers le Pacifique.
38Gerbault revint bien dans les mers du Sud26. Mais les résidents de Wallis, craignant des troubles politiques si on l’y revoyait, lui firent savoir que son retour dans l’île n’était pas désirable.
39Il devait mourir à l’île de Timor en 194127. Si, pendant ses derniers jours, il avait encore songé à Wallis, il devait ignorer que cette île était alors dans un complet isolement, dépourvue de tout ravitaillement depuis le 1er janvier de cette année-là 1941, et cette situation devait se prolonger jusqu’au 27 mai 1942.
40« La dépouille de cet être étrange, écrirait plus tard l’amiral Decoux, demeura provisoirement sur place, jusqu’au jour où l’aviso Dumont d’Urville se rendit, en 1946, tout exprès dans cette île de la Sonde, pour conduire, selon sa volonté formelle, dans le bienheureux éden de Bora-Bora, qui lui était cher entre tous, celui qui avait été l’admirateur fervent de ces sites enchanteurs28. »
41Le qualificatif d’« être étrange » appliqué à Alain Gerbault paraît forcé. Répugnant aux contraintes de la civilisation moderne, attiré au contraire, un peu comme Jean-Jacques Rousseau, par les mœurs toutes simples et joyeuses, et plus proches de la nature, que l’on trouve encore dans certaines îles du Pacifique, et qui, d’ailleurs, n’offrent rien qui les empêchent d’être christianisées, il n’eut que le tort, en se rapprochant des indigènes et de leur vie, d’exagérer son identification extérieure avec eux, à un point qui aurait pu paraître lui faire renier totalement son extraction européenne, mais non pas, pour autant, l’attechement à sa patrie. L’amiral Decoux d’ailleurs fait de Gerbault cet éloge :
42« Il faut toujours se rappeler, avant de le juger, qu’il a su donner l’exemple de l’audace et de l’effort aux Français (...). A ce titre déjà il mérite de laisser son nom dans la liste déjà longue des hommes courageux auxquels la France a donné le jour29. »
43Son souvenir devait être durable à Wallis. A la vue d’une des photographies prises de lui pendant son séjour dans cette île, ceux qui l’avaient connu feraient aussitôt écho au cri d’un enfant wallisien : quelque temps après son départ, à peine mis en face d’une des gravures du grand catéchisme en images, représentant l’Enfant prodigue en haillons, jaillirent aussitôt de ses lèvres ces mots :
44« Ko Selepo ! Ko Selepo ! (C’est Gerbault ! C’est Gerbault !) »
Notes de bas de page
1 1925 avait été l’année du grand jubilé, célébré à Rome tous les vingt-cinq ans. 1926 le prolongeait hors de Rome.
2 C’est alors que passa Mgr Nicolas, vicaire apostolique de Fidji (supra, p. 364), venant de Rotuma et rentrant à Suva sur le Malinoa ; il resta quarante-huit heures.
3 Gerbault a raconté dans Seul à travers l’Atlantique, A la poursuite du soleil et surtout dans Sur la route du retour, cette navigation solitaire et en particulier les multiples incidents que rencontra son Firecrest entre Samoa et Wallis et finalement l’accident survenu à Wallis.
4 A. Gerbault, Sur la route du retour, p. 46.
5 Ibid., p. 48-9.
6 Ibid., p. 50-51 ;
7 Ibid. Ces trois Sœurs sont décédées aujourd’hui.
8 JSO, p. 142.
9 Sur la route du retour, p. 52.
10 Ibid, p. 53.
11 Le commandant Decoux reçut le message en octobre ; peu après, il en recevait un autre du ministre de la Marine, Georges Leygues, lui laissant toute latitude de faire un détour sur Wallis pour porter secours au Firecrest. Aussitôt connu l’accident du bateau d’Alain Gerbault, le commandant Decoux décide de se rendre à Wallis (Am1 Decoux, Sillages dans les Mers du Sud, p. 301).
12 Sur la route du retour, p. 55-77.
13 Ibid. p. 57 ; RMT.
14 Sur la route du retour, p. 59.
15 Ibid., p. 60.
16 Ibid., p. 60-61 ; RMT.
17 Sur la route du retour, p. 61-62.
18 Ibid., p. 62.
19 L’expression englobe tous les tributs, argent en nature ou amendes, demandés par les chefs pour leur propre compte ou celui de la Mission.
20 JSO, p. 138.
21 Ibid., 143.
22 Mgr Blanc avait demandé qu’après la première communion, faite alors vers 10 ans, tous les enfants y fassent comme pensionnaires un séjour d’au moins deux ans, pour y recevoir un minimum d’instruction, surtout en faveur de la langue française. Ce but, si important pour la formation de chaque enfant et pour le bien général du pays, paraissait justifier la charge quelque peu onéreuse pour les parents de subvenir à l’entretien de leurs enfants en leur apportant, parfois de loin, des vivres chaque dimanche. Qui plus est, il semble que le gouvernement wallisien avait pris sur lui cette charge, en la répartissant sur tous les contribuables du pays, ce qui explique les réclamations à ce sujet. Plus tard, en 1947, le collège de Lano deviendra, transporté à Malaetoli, une école de français des plus florissantes.
23 Sur le chemin du retour, p. 63.
24 JSO, p. 146.
25 Gerbault lui avait aussi fait visiter son Firecrest renfloué.
26 Sans d’ailleurs suivre tout à fait l’itinéraire prévu.
27 Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il lui arriva de naviguer du point d’attache qu’il avait choisi en Polynésie orientale jusqu’à l’île de Timor, dans l’archipel de la Sonde, il y tomba malade atteint d’une forte fièvre. On eut beaucoup de mal à le persuader de quitter son nouveau bateau pour entrer à l’hôpital de Dili ; on finit par l’y conduire et il y mourut le 16 décembre 1941.
28 Am1 Decoux, Sillages dans les Mers du Sud, p. 307.
29 Ibid.
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