Les éditions Verticales, une éthique et une politique de la littérature
Aurélie Adler, Stéphane Bikialo, Karine Germoni et Cécile Narjoux (dir.), « Éditions Verticales, ou comment éditer et écrire debout », Écritures contemporaines, no 14, Paris, Classiques Garnier, coll. « La Revue des Lettres modernes », 2022, 479 p.
Résumés
Cette recension revient sur la publication du volume collectif consacré aux Éditions Verticales à l’occasion de leur vingtième anniversaire : « Éditions Verticales, ou comment éditer et écrire debout ». Il synthétise les apports des contributions proposées dans cet ouvrage, qui esquisse un portrait pluriel de la maison d’édition, multiplie les approches critiques sur le phénomène éditorial et permet d’aborder plusieurs enjeux de la création littéraire contemporaine.
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Mots-clés :
Éditions Verticales, littérature contemporaine, littérature documentaire, littérature et politique, intermédialitéKeywords:
Éditions Verticales, contemporary french literature, nonfiction, literature and politics, intermedialityPlan
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1Depuis les années 2010 se sont multipliées les études sur les maisons d’édition qui, selon la terminologie de Bourdieu, incarnent le « pôle restreint » du champ littéraire français : Existe-t-il un style Minuit ? (2014), The Editions P.O.L number (2010), jusqu’au colloque « P.O.L : 40 ans d’édition ! » en 2022. En publiant les actes du colloque organisé en 2017 à Poitiers et Paris à l’occasion des vingt ans de la maison fondée par Bernard Wallet, le dernier numéro de la revue Écritures contemporaines, « Éditions Verticales, ou comment éditer et écrire debout », vient ainsi combler un manque sur l’étude de ces éditions qui font la vitalité de la création littéraire. Car telle est l’hypothèse qui fédère les vingt-quatre contributions réunies par Aurélie Adler, Stéphane Bikialo, Karine Germoni et Cécile Narjoux : en l’espace d’une vingtaine d’années, Verticales est parvenu à cristalliser aux côtés de P.O.L, Minuit, Verdier ou la collection « Fiction & Cie » (Le Seuil) un certain renouvellement de l’expérience esthétique, au point de devenir une maison incontournable dans les études sur le contemporain.
2L’ouvrage collectif marque ainsi un temps fort et attendu de la critique. Il faut souligner d’emblée la richesse et la complétude de cet ambitieux volume, qui propose un tour d’horizon de la maison en quatre temps : la partie « Identité(s) et politique(s) éditoriales » retrace l’histoire de Verticales et définit l’évolution de son positionnement dans le champ littéraire ; le volet « Fiction, document et histoire(s) » met en avant le décloisonnement des genres et disciplines à travers l’usage de matériaux documentaires ; « L’artisanat du style chez Verticales » explore le travail de la langue et « Vers une littérature exposée : inter- et transmédialités » s’attache aux expérimentations des auteurs du catalogue hors du livre. L’ensemble accomplit donc à la fois un geste d’historicisation, une saisie de la singularité et des spécificités de la maison sur le temps long, tout en interrogeant de façon très stimulante les enjeux des tendances actuelles des éditions Verticales.
Portrait d’une « maison critique »
3Animée par Aurélie Adler, la première table ronde tente de définir en compagnie de Jeanne Guyon et Yves Pagès (éditeurs et co-directeurs de la maison d’édition) l’identité éditoriale de Verticales. La maison se distingue avant tout par sa visée critique, tant par son positionnement dans le champ que par la conception de la littérature qu’elle défend — celle d’une littérature exigeante, territoire de l’« invention » selon Pierre Senges, écrivain publié par Verticales, incarnée par l’image du « laboratoire littéraire ». Pour Bernard Wallet, la position verticale signalait d’abord une éthique et une politique : « être ni horizontal, ni à genoux ». Rester debout, se tenir d’aplomb, c’est d’abord concevoir l’édition comme « un lieu de résistance » à la standardisation et à l’industrialisation du marché du livre, c’est cultiver l’esprit d’insoumission pour écrire et publier « des livres qui mordent et qui piquent ».
4Un mérite de l’ouvrage consiste toutefois à remonter en amont de la date fondatrice de 1997 pour esquisser une généalogie esthétique et intellectuelle d’une maison qui hérite avec force de la pensée des années soixante et soixante-dix. Du Carnet de bal d’une courtisane de Grisélidis Réal aux textes foucaldiens évoqués par Laurent Demanze et Julien Lefort-Favreau, Verticales mène selon Laurent Susini une « politique d’exhumation éditoriale » qui entend remettre en lumière des textes antérieurs dotés d’une forte dimension subversive, dans lesquels la maison puise « une origine et un horizon ». La contribution de Stéphane Bikialo entend quant à elle mettre au jour l’« arrière-plan situationniste » de Verticales à partir du parcours et de la collaboration de Bernard Wallet, lecteur de Guy Debord. Le critique montre ainsi que les éditions relèvent, selon une certaine réappropriation de la pensée situationniste, d’une conception esthétique de la révolution, entre désir de bouleverser le quotidien, dénonciation de la marchandisation et de la standardisation de la littérature, et volonté de relier l’art et la vie.
5À partir de là, le volume fait le pari de prendre le nom de la maison au pied de la lettre, filant la métaphore de la verticalité pour en faire un paradigme fondateur de l’identité critique des éditions. Comme le montrent certaines contributions, la verticalité renvoie notamment à un tropisme érotique qui esquisse plus largement une poétique et une politique du corps. Laurent Susini décèle ainsi chez plusieurs auteurs (Grisélidis Réal, Philippe Adam, Gabrielle Wittkop) une écriture verticale du corps, à la fois dans sa représentation et dans la reconquête d’une verticalité pour lutter « contre un écrasement normatif » ; Maïté Snauwaert identifie chez Nicole Caligaris et Jane Sautière une éthique et une poétique verticales pour répondre aux crises de notre temps en s’efforçant de consigner un « vivre saisi en coupe » qui capte l’existence par seuils et instants critiques. Sans parler d’un « style vertical », les enjeux de la verticalité transparaissent également dans les études stylistiques : les textes convoqués partagent souvent un même refus de la narration linéaire au profit de formes fragmentaires et éclatées. Cécile Narjoux montre ainsi que l’expérience d’un temps déréglé chez Olivia Rosenthal passe par une écriture où la logique paradigmatique perturbe la continuité syntagmatique du discours. Plus largement, Mathilde Bonazzi étudie les résurgences de ce paradigme vertical sous l’angle de la communication de la maison, qui repose selon elle sur un imaginaire spatial plus que temporel.
6Critiques, les éditions Verticales le sont aussi par leur souci de promouvoir une certaine diversité qui va de pair avec une culture de la singularité. Jeanne Guyon et Yves Pagès reconduisent le refus de Bernard Wallet de se soumettre à une ligne éditoriale, préférant l’image de la maison comme « centre de ralliement des divergences », ou « somme de singularités », selon la formule d’Olivia Rosenthal. La force de l’ouvrage collectif est de restituer cette diversité sans réduire le geste critique à une succession d’études monographiques : soucieuses de conserver l’hétérogénéité et l’éclectisme qui caractérisent la maison, les contributions s’efforcent néanmoins de pointer les liaisons, passerelles et enjeux communs qui traversent le catalogue ; elles alternent tableaux synthétiques et études de cas, vues synoptiques et lectures singulières. La contribution de Sylvie Ducas, centrée sur l’œuvre de Frédéric Ciriez, insiste notamment sur la singularité de cet auteur qui contraste avec l’image du collectif, en particulier dans la résistance à l’injonction d’exister sur la scène littéraire. Il s’agit bien là de brosser un portrait kaléidoscopique des éditions, moins selon une ligne éditoriale qu’à travers des lignes de force, des « dénominateurs communs », ou encore — selon la formule de Catherine Rannoux — un « air » Verticales, qui n’exclut pas les voix divergentes.
7Or, cet air de famille passe avant tout par l’« identité visuelle » de la maison : éditeurs, graphiste, auteurs et critiques s’accordent à souligner la portée symbolique du choix de la couverture unique, immédiatement identifiable, signe selon Jeanne Guyon que « sous une seule couverture […] on publie un seul genre : la littérature ». Cette « démarche unitaire » reconduit selon Stéphane Bikialo le refus situationniste de séparer la littérature en collections et genres spécialisés, tout en affirmant la quête d’une réelle diversité générique et d’une certaine pluridisciplinarité qui fait aussi la marque de fabrique de Verticales et contribue à attirer de nouveaux auteurs, à l’instar d’Elitza Gueorguieva. L’un des mérites du volume est d’ailleurs de prendre en compte les significations et la matérialité de l’« objet-livre », dans lesquelles Mathilde Bonazzi identifie une double promesse, « celle d’une littérature exigeante et celle du dialogue entre les arts ». La remise en cause des frontières disciplinaires constitue l’un des aspects critiques fondamentaux de Verticales, qui court des débuts de la maison jusqu’aux nouvelles formes de la littérature exposée : Olivia Rosenthal évoque la volonté d’ouvrir l’art à des « activités plus transversales, moins balisées », ce qui passe aussi par la revendication d’une incompétence de l’écrivain, d’un détournement des outils issus d’autres pratiques. Au paradigme de la verticalité se superpose donc celui de la transversalité : les contributions dessinent les contours d’une maison transgénérique, transdisciplinaire et transmédiatique, logique poussée à son comble dans le déploiement des « petits formats non formatés » de la collection « Minimales ».
8Cependant, cette revendication de l’esprit d’insoumission et d’une identité critique n’est pas sans entrer en tension avec les mutations traversées par la maison. C’est là tout l’intérêt des contributions qui n’hésitent pas à contrebalancer le discours éditorial par une perspective économique et socio-historique, à l’instar de Lilas Bass : les trois phases des éditions, ponctuées par les rachats successifs (Le Seuil, La Martinière et Gallimard), pointent ainsi la singularité du fonctionnement de Verticales, « label dans un grand groupe ». Si sa politique éditoriale rapproche Verticales des maisons d’édition critiques indépendantes, son modèle économique l’en distingue, révélant une série de tensions entre dépendance et indépendance. L’étude de Jean-Marc Baud, centrée sur l’exemple de la consécration de Maylis de Kerangal, insiste sur la mise en place d’une logique de compromis et d’une « double identification éditoriale », où Gallimard met au service de Verticales sa puissance économique et médiatique, tout en jouant de l’image d’une littérature exigeante et de la politique de découverte sur laquelle Verticales a bâti sa réputation.
Décentrer et démultiplier le point de vue critique
9La richesse du volume résulte aussi du croisement des perspectives disciplinaires et de la complémentarité des approches, tour à tour historiques, stylistiques, thématiques ou intermédiales, sans oublier la sociologie de l’édition et des métiers du livre. Cette complémentarité se rejoue du côté des modes d’intervention, puisque chaque partie alterne tables rondes et articles universitaires afin de mobiliser une pluralité d’acteurs et de penser le volume comme une « collaboration polyphonique » avec des universitaires, un critique littéraire (Alain Nicolas), les éditeurs des éditions Verticales, le graphiste Philippe Bretelle, la lectrice-correctrice Marie-Hélène Massardier, sans oublier les auteurs du catalogue dont plus d’une vingtaine sont entendus, étudiés ou cités.
10Au-delà de cette heureuse polyphonie, le désir de partir du processus éditorial pour « repenser les œuvres et les auteurs depuis la maison d’édition » s’avère stimulant en ce qu’il invite à décentrer le point de vue critique. D’une part, en documentant les métiers de l’édition : le volume revient sur le rôle médiateur des éditeurs, leur travail d’accompagnement des auteurs, et brosse le portrait sensible de lecteurs attentifs et singuliers. À travers le témoignage de Marie-Hélène Massardier, il s’agit aussi de mettre en lumière des « métiers de l’ombre » comme celui de lectrice-correctrice, qui assimile le relecteur à un « caméléon » capable de se fondre dans le texte pour en traquer toutes les scories. En somme, loin de l’imaginaire de la création comme travail purement solitaire, les interventions des professionnels de l’édition, en dialogue avec les auteurs, montrent à quel point le processus de production du livre est le fruit de multiples échanges, d’une négociation et d’une collaboration avec une pluralité d’acteurs. En témoigne l’intervention éclairante de Maylis de Kerangal, qui revient sur la manière dont Yves Pagès et Jeanne Guyon l’incitent à retravailler la composition de ses romans.
11D’autre part, la perspective éditoriale s’accompagne d’une force de proposition théorique qui invite à intégrer plus avant ces concepts et outils dans les études littéraires. Plusieurs contributions s’appuient ainsi sur les notions de « geste éditorial » (Brigitte Ouvry-Vial) ou d’« énonciation éditoriale » (Emmanuël Souchier) pour rendre compte des actes d’intervention de l’équipe Verticales et interpréter, du paratexte au graphisme, ce qui s’apparente selon Jean-Marc Baud à un véritable « discours dans et hors du livre ». L’article de Stéphane Bikialo et Martin Rass restitue dans cette optique le travail du graphiste Philippe Bretelle pour saisir l’identité graphique de la maison, à la fois par l’analyse des couvertures (notamment le rectangle réservé à l’illustration et la typographie), les enjeux du bulletin de communication Propagande, ou encore la collection « Documents », identifiable par la couverture pleine. De même, Mathilde Bonazzi s’attache à déplier les aspects de la communication de Verticales, pour montrer comment celle-ci intervient à toutes les étapes de la fabrication et de la diffusion du livre, du choix du nom de la maison au logotype créé par Étienne Robial. Au-delà du livre, la communication de Verticales, qui s’exprime aussi par le choix du papier pour le bulletin Propagande, envoyé à un cercle restreint, et par l’organisation de soirées sous la forme de rencontres-performances avec les auteurs du catalogue, révèle selon Mathilde Bonazzi les linéaments d’une communauté d’auteurs et de lecteurs rassemblés autour de la maison.
12Ce renouvellement des gestes critiques passe encore par l’invention de notions ou l’extension de concepts préexistants. Les contributions de Jean-Marc Baud et Laurent Demanze s’efforcent d’articuler finement échelles auctoriale et éditoriale pour penser la singularité d’une rencontre. À partir de Rêves d’histoire et de Miettes de Philippe Artières, qui publie également chez d’autres éditeurs, Laurent Demanze interroge les enjeux de la « rencontre entre une démarche d’écriture et une ligne éditoriale » : si l’écrivain-historien adresse à Verticales des textes dominés par le goût de la collection et de l’exposition, publier les textes d’Artières est aussi une façon pour Verticales d’affirmer une ligne politique attentive à l’ordinaire et aux infâmes, en prolongeant le sillon foucaldien. Reprenant l’outil de Jérôme Meizoz à la jonction de l’analyse interne et externe des œuvres, Jean-Marc Baud avance quant à lui la notion de « rencontre posturale » pour rendre compte des effets de continuité ou de tension entre une posture d’auteur et une posture d’éditeur. L’exemple de la rencontre entre les membres du collectif Inculte et les éditions Verticales lui permet de relever un faisceau de convergences (le militantisme littéraire, le goût de l’expérimentation et de l’hétérogénéité, ou encore le décloisonnement de la fiction et de la pensée), tout en soulignant la singularité de cette configuration. En effet, contrairement aux éditions de Minuit avec le Nouveau Roman, Verticales n’a pas cherché à « satelliser le collectif » pour en faire une école, mais plutôt à fonctionner comme son « antichambre », favorisant les conditions d’une sociabilité littéraire et le développement de « pratiques et de lieux de partage textuel ».
Une cartographie du paysage littéraire contemporain
- 1 Lionel Ruffel, « Un réalisme contemporain : les narrations documentaires », Littérature, no 166, 20 (...)
13Contre les discours de la fin, le numéro montre en acte la vitalité de la création littéraire au cours des deux dernières décennies. Il est frappant de constater que ce parcours du catalogue entre directement en résonance avec certaines tendances majeures de la littérature contemporaine. Le volume révèle en effet le rôle précurseur de Verticales dans l’essor des « narrations documentaires », selon la formule de Lionel Ruffel1. Plus précisément, la deuxième partie de l’ouvrage indique que tout un pan de la production des éditions gravite dans la sphère de la non-fiction, qu’il s’agisse de collectionner, d’enregistrer ou d’exposer des matériaux documentaires selon des degrés de réappropriation divers. La table ronde animée par Raphaëlle Guidée avec Jane Sautière et François Beaune explore les modalités d’une pratique commune qui consiste à glaner « fragments d’existence » et « histoires vraies » à partir d’une expérience professionnelle ou d’une investigation sur le terrain, pour composer des textes polyphoniques tissés de matériaux ordinaires. Dans une contribution qui consonne à plusieurs égards avec les analyses de Laurent Demanze dans Un nouvel âge de l’enquête (José Corti, 2019), Julien Lefort-Favreau embrasse une quarantaine d’ouvrages qui, dans le catalogue, prennent la forme du témoignage, du reportage ou de l’enquête. Selon le critique, ces publications qui échappent à la fiction et héritent de la pensée de Mai 68 rendent possible la poursuite d’une pensée critique chez Verticales et contribuent à déployer une politique de la littérature. Peut-être faut-il voir dans cette attention pour l’ordinaire le symptôme d’un infléchissement du modèle de l’engagement comme insoumission : Raphaëlle Guidée souligne en creux la tendance récente des éditions à valoriser un paradigme davantage horizontal que vertical, de la résistance debout à l’exigence d’une forme d’écoute, de partage ou encore de réciprocité dans la relation à l’autre — même si, le dernier livre documentaire d’Arno Bertina en témoigne, l’un n’exclut pas l’autre. L’analyse de Catherine Rannoux dans la partie « Fiction, document, histoire(s) » vient corroborer cette hypothèse d’un point de vue stylistique : elle montre dans sa lecture d’Une vie de Gérard en Occident de François Beaune que l’insertion de fragments de paroles ordinaires dans un ensemble énonciatif dialogique permet d’exprimer l’expérience partagée et l’appartenance au commun.
14Une autre tendance mise à l’honneur par les auteurs Verticales concerne la littérature exposée, dont les enjeux sont abordés dans la dernière partie du volume. Dans son étude « Rester Verticales : le cinéma et les éditions Verticales » sur les liens entre la maison et l’art cinématographique, Fabien Gris souligne à quel point la littérature chez Verticales est « la pierre angulaire d’un ensemble médiatique plus vaste, qu’on ne s’interdit en rien d’arpenter ». De nombreux auteurs effectuent ainsi un « débord transmédiatique » de la page vers la scène pour faire l’expérience d’une littérature au contact d’un médium qui ne leur est pas propre — radio, performance, danse, théâtre ou affichage public. Ils deviennent ainsi, selon la formule de Judith Mayer dans son article « Écrivains Verticales, écritures transversales », « les ambassadeurs de la maison hors les murs » et promeuvent l’image d’une littérature inscrite dans l’espace public. La riche table ronde avec Olivia Rosenthal, Jean-Charles Massera et Anne-James Chaton sur les formes de l’intermédialité inscrit ces pratiques non pas en rupture avec les origines de la maison mais dans la continuité de l’exigence d’expérimentation, tandis que Judith Mayer insiste à son tour sur la manière dont ces formes scéniques sont propices à la résurgence d’une littérature orale et d’une récitation héritée de la tradition épique. Nuançant l’imaginaire d’une sortie du livre, les contributions explorent au contraire les rapports entre le livre et ses possibles transformations pour mettre l’accent sur la circulation et les « vies multiples » des textes. Les auteurs décrivent comment la performance vient peu à peu transformer le rapport à l’écriture — ce que confirme l’analyse de Michel Briand dans « Concordan(s)e/Verticales » sur l’expérimentation de la « littédanse » par Arno Bertina : selon le critique, la collaboration de l’écrivain avec un chorégraphe dans le cadre du festival Concordan(s)e fait retour dans l’écriture romanesque. Dans son étude sur les « écritures de plateau », Judith Mayer rappelle que dans ces expériences scéniques, le texte est moins un préalable à la scène qu’un « matériel au travail », mais interroge à juste titre les enjeux de la publication d’un texte d’abord écrit pour la scène, entre souci de pérennité et réaffirmation de l’auctorialité.
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15Parce qu’il foisonne de propositions et qu’il entend circonscrire les principaux enjeux d’une maison d’édition à la ligne éditoriale si riche, le numéro soulève plusieurs interrogations et appelle à prolonger les chantiers défrichés. D’un point de vue méthodologique, la place centrale accordée aux entretiens avec les éditeurs et les auteurs, essentiels pour documenter la perspective éditoriale, pose un certain nombre de défis au chercheur sur le contemporain confronté à ces outils et ces méthodes encore en gestation : elle invite à adopter une certaine réflexivité sur ces outils, à contextualiser les propos recueillis, ou encore à se confronter aux tensions entre les discours du chercheur et ceux des acteurs qu’il interroge. Une autre piste pour les années à venir concerne l’évolution des modalités de sélection des jeunes auteurs. Si Elitza Gueorguieva et Aliona Gloukhova évoquaient brièvement, lorsqu’elles y étudiaient, leur désir de rejoindre le catalogue, les liens entre Verticales et les masters de création littéraire mériteraient sans doute une future étude : s’agit-il d’une mutation des formes de sélection littéraire, ou d’une simple médiation par l’entremise d’auteurs qui, comme Olivia Rosenthal, figurent au catalogue Verticales tout en jouant un rôle central dans l’institution universitaire ? Le portrait de la maison invite en outre à soulever la question du genre, assez peu abordée en tant que telle : on voudrait voir prolongée la remarque stimulante de Mathilde Bonazzi sur le choix de donner aux éditions un nom féminin, contrairement aux autres maisons, qui optent pour le masculin. La critique y décèle une « considération du féminin » tant du côté des autrices que du fonctionnement éditorial : à maints égards, la question du genre semble offrir l’un de ces « dénominateurs communs » identifiés par les directeurs du numéro. Enfin, si la production littéraire fait l’objet d’une approche nourrie et approfondie, le volume invite à poursuivre la réflexion du côté de la réception : là encore, de stimulantes remarques suggèrent une percée de Verticales auprès d’un public étudiant, dans le milieu scolaire, voire au-delà avec la multiplication des prix littéraires remportés par les auteurs de la maison. De même, dans le volet sur l’intermédialité, Jean-Charles Massera évoque la question du public en fonction des contraintes médiologiques, induites par le passage du livre à la radio ou à l’affichage public. Au-delà de ces réflexions ponctuelles, une étude consacrée au(x) public(s) de Verticales complèterait utilement la perspective éditoriale.
- 2 Jean-François Hamel, « Qu’est-ce qu’une politique de la littérature ? Éléments pour une histoire cu (...)
16On ne peut, à la lecture du volume, que confirmer l’affirmation des directeurs d’un numéro qui propose une défense et une illustration de la qualité du travail des éditions Verticales : « porte d’entrée » dans l’œuvre de nombreux auteurs contemporains, selon le mot de Claro dans la première table ronde, la maison est devenue incontournable dans l’enseignement, la recherche et la lecture contemporaines, et cet ouvrage constitue indéniablement une précieuse boussole, tant sur le paysage éditorial français que sur la création littéraire des vingt dernières années. En restituant dans toute leur portée l’éthique et la politique défendues par Verticales, le volume répond ainsi au programme de Jean-François Hamel qui, dans « Qu’est-ce qu’une politique de la littérature2 ? », invite à déplacer le regard pour considérer que ces politiques ne sont pas seulement produites par les écrivains, mais aussi par les maisons d’édition, ces acteurs collectifs qui « défendent des lignes de pensée, promeuvent des valeurs esthétiques » et dotent ainsi les politiques de la littérature d’une existence sociale.
Notes
1 Lionel Ruffel, « Un réalisme contemporain : les narrations documentaires », Littérature, no 166, 2012, p. 13-25.
2 Jean-François Hamel, « Qu’est-ce qu’une politique de la littérature ? Éléments pour une histoire culturelle des théories de l’engagement », dans Laurence Coté-Fournier, Élyse Guay et Jean-François Hamel (dir.), Politiques de la littérature. Une traversée du xxe siècle français, Montréal, Presses de l’Université du Québec, coll « Figura », 2014, p. 9-30.
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Référence électronique
Maud Lecacheur, « Les éditions Verticales, une éthique et une politique de la littérature », Recherches & Travaux [En ligne], 100 | 2022, mis en ligne le 11 octobre 2022, consulté le 11 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/recherchestravaux/5244 ; DOI : https://doi.org/10.4000/recherchestravaux.5244
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