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19.
Rés. Q. 71
Martial
d’Auvergne
Les vigilles de la mort du roi Charles septiesme…
Paris,
Robert Bouchier pour Durand Gerlier,
[vers 1505-1506]
Reliure
en veau fauve aux armes de Nicolas Moreau d’Auteuil, deux filets
d’encadrement. Prov. : De Valles ; Nicolas Moreau d’Auteuil (ex-libris
ms. daté 1575 et devises ms. anagrammatiques “A l’ami son cœur”
et “Amour ja enclos”).
Pour célébrer
la mémoire du « bon roy » Charles VII (1402-1461), qui chassa de
France les occupants anglais et mit fin à la guerre de Cent Ans,
le poète Martial d’Auvergne (vers 1430/1435-1508) adapta à son royal
propos la forme liturgique des vigiles des morts qui, par groupes
de trois, alternaient neuf « psaumes » et neuf « leçons » : ici
alternent semblablement « récits » et « complaintes ». Les premiers
composent une chronique du règne rédigée en octosyllabe, vers habituel
de la poésie épique du Moyen Âge, tandis que les secondes consistent
en pièces lyriques en vers de mètres variés, où des allégories politiques
(France, Noblesse, Labour, Marchandise) exaltent la beauté perdue
du temps passé : exactement comme la théologie proposait une lecture
allégorique de l’histoire du royaume d’Israël, la poésie du regret
impose ici à l’histoire du royaume de France une signification morale.
Martial d’Auvergne composa son poème entre 1477 et 1483. Une première
édition imprimée parut en 1493 sur les presses parisiennes de Jean
Dupré et fut suivie de quelques autres éditions, également parisiennes,
jusque dans la première décennie du XVIe siècle. Celle
qu’imprima Robert Bouchier vers 1505 ou 1506 et dont il partagea
la diffusion avec les libraires Durand Gerlier, Guillaume Eustace
et Jean Trepperel, est abondamment illustrée de grands bois gravés,
comme l’était déjà l’édition de Dupré. À l’exception de la grande
planche initiale représentant la naissance du roi (une « nativité
» plutôt qu’une scène d’accouchement), ces illustrations utilisent
des gravures employées antérieurement : pratique ordinaire, qui
ne diminue en rien la remarquable qualité matérielle de l’édition
imprimée par Bouchier.
L’exemplaire de la bibliothèque Méjanes a appartenu à la fin du
XVIe siècle à Nicolas Moreau d’Auteuil. Né vers 1544
et mort en 1619, celui-ci fut d’abord trésorier du duc d’Anjou,
futur Henri III, puis devint trésorier de France en 1571, mais des
revers l’obligèrent en 1586 à se démettre de cette charge, à abandonner
une partie de ses biens (notamment sa seigneurie d’Auteuil, près
de Montfort-l’Amaury) et sans doute à vendre aussi sa bibliothèque,
dont les quelques témoins parvenus jusqu’à nous indiquent un collectionneur
important. S’il partageait avec les très grands amateurs français
du XVIe siècle que furent Jean Grolier et Thomas Mahieu
une même appartenance à l’élite administrative des « gens de finance
», sa bibliothèque était en revanche d’une tout autre nature : loin
du canon humaniste des « belles lettres », c’est aux vieux textes
de la culture courtoise et chevaleresque de la fin du Moyen Âge
qu’allait son attention. Les livres en latin sont très peu nombreux
dans sa collection et les livres en italien principalement représentés
par une série (aujourd’hui conservée à Paris, à la bibliothèque
de l’Arsenal) de traductions italiennes de romans de chevalerie
du cycle des Amadis, qu’il acquit en 1574 à Venise, alors qu’il
accompagnait le roi Henri III revenant de Pologne pour prendre possession
de la couronne de France. Ce sont donc, tant pour les manuscrits
que pour les livres imprimés, les textes en français qui occupent
presque toute la place : chroniques historiques médiévales, romans
de chevalerie, poésie allégorique et morale dans la veine du Roman
de la Rose, telles sont les œuvres qu’aimait et collectionnait
Moreau d’Auteuil. Ce goût « courtois », qui semble égaré au siècle
de l’érudition humaniste triomphante, n’était toutefois pas aussi
singulier qu’il peut paraître d’abord : on en relève par exemple
les traces, à la même époque, dans la très riche bibliothèque du
poète Philippe Desportes. Il était en outre destiné à un grand avenir
dans l’histoire française des collections de livres : d’abord dans
de grandes bibliothèques aristocratiques comme celle de Gaston d’Orléans,
frère de Louis XIII, puis dès le milieu du XVIIe siècle
chez quelques amateurs parisiens comme Valentin Conrart ou Jean
Ballesdens, qui anticipaient par là un mouvement de collection qui
prit toute son ampleur au début du XVIIIe siècle et dont
le marquis de Méjanes est un héritier tardif.
•
Robert Brun, “Un “ex-dono” de Baïf à Nicolas Moreau”, Trésors
des bibliothèques de France, 5 (1933), p. 111-114 ; Anthony
Hobson, “Histoire de la belle Mélusine and Nicolas Moreau
d’Auteuil”, Bulletin du bibliophile, 1993, p. 95-98 ;
A. Vidier, “Un bibliophile français du XVIe siècle
: Nicolas Moreau, sieur d’Auteuil”, dans Mélanges offerts
à M. Émile Picot, Paris, 1913, t. 2, p. 371-375.
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