Benjamin Biolay et Jeanne Cherhal : « On est tombés amoureux de nos arts respectifs »

Je suis née militante, révoltée par les inégalités et les injustices. Dans les années 1970, je suis jeune et jâai comme compagnon un sociologue iranien. Quand on me demande dâ«âaider à la révolutionâ», je nâhésite pas.
Mes liens avec les hommes qui préparent la révolution depuis la France se sont tissés par relations, presque par hasard. Je fréquente alors la Maison de lâIran à Paris. Nous parlons avec les étudiants et les intellectuels de la dictature que le shah impose à son peuple avec la redoutée Savak, la police politique. Je me passionne pour la cause. Je sers de secrétaire, jâaide à préparer les discours et les conférences de ceux qui sont les bras droits de Khomeyni , alors à Neauphle-le-Château. Je demande à rencontrer lâayatollah à plusieurs reprises, sans succès.
Câest également un moment de ma vie où jâai trop faim comme actrice. Donc, pour manger, je passe le concours Âdâhôtesse de lâair et le deviens pour Air Inter. Un jour, on me propose dâutiliser mes billets GP (gratuité partielle, réservée au personnel) pour aller à Téhéran, dans le but de passer des documents aux activistes à lâintérieur du pays. Jâaccepteâ! Je vais faire plusieurs allers-retours. A chaque voyage, lorsque jâarrive à la douane, jâai une espèce de tétanie dans la moelle. Les valises sont distribuées sur un tapis roulant. Un homme en uniforme est là qui observe les bagages et trace un trait sur ceux quâil juge suspects. Tout sac marqué est ouvert et inspecté. Heureusement, les miens échappent toujours à la fouille.
Au moment de livrer mon paquet, je dois suivre un parcours très calculé. Jâeffectue une course-poursuite dans les ruelles du bazar. Je change de direction, traverse des cours et des couloirs. Malgré mes yeux verts et mon 1,72 mètre, je passe inaperçue sous mon voile, sauf pour certaines femmes. Je les vois se pousser du coude sur mon passage. Les rencontres se font toujours dans des lieux publics, des grandes places. Mes interlocuteurs sont des avocats. Ils craignent dâêtre surveillés, dâavoir des micros chez eux.
Malgré le danger, je nâai pas peur. Je me sens glorieuse. Je pense Åuvrer pour la justice. Malheureusement, ce qui arrive ensuite est effroyableâ! En 1979, la révolution transforme lâIran en République islamique. Mes amis, qui y ont participé, se sentent trahis. Leur révolte leur est confisquée. Beaucoup vont le payer de leur vie. Et moi, je réalise que jâai été manipulée. Et un sentiment amer mâétreint encore aujourdâhui. Si jâavais suâ!