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La démocratie hongroise de 1918-1919 et la politique française
1. Nommée ainsi à cause des asters, fleurs d'automne, qu'arboraient ses partisans.
2. L'Armée française d'Orient. L'Armée de Hongrie. 11 novembre - 10 septembre 1919. Paris, Imprimerie Nationale, 1970.
â Dès la fin de la première guerre mondiale, la Hongrie a connu, dans une courte période de cinq mois, deux révolutions : l'une, nationale et démocratique, en octobre 1918; l'autre, qui donna jour à la République hongroise des Conseils, le 21 mars 1919.
La première, la Révolution des Asters1, a été considérée pendant soixante-dix ans comme l'antichambre de la deuxième, ou comme une marche conduisant â vers le haut ou vers le bas â à la Commune hongroise. Ce fut le principal grief formulé à son égard par la droite et sa justification principale par l'extrême gauche.
Il y a là une coïncidence curieuse. Il y a donc eu un événement d'importance primordiale dans l'histoire hongroise du vingtième siècle dont l'évaluation â ou plus précisément dont la dépréciation â a constitué un terrain d'entente pour les contre- révolutionnaires et les communistes pendant les sept dernières décennies. De points de vue opposés, bien sûr ; mais les deux extrêmes étaient d'accord pour refuser la démocratie et ses valeurs.
Depuis quelque temps cependant, voyant la crise profonde du socialisme réel et du mouvement communiste, nous avons appris à mieux apprécier les valeurs démocratiques et, de même, les traditions démocratiques. Nous ne pouvons plus nous réjouir de la chute précoce du premier régime démocratique dans l'histoire de la Hongrie, un régime pacifiste et progressiste né d'une révolution non sanglante, qui a réalisé l'indépendance de l'Etat hongrois, instauré une liberté sans précédent dans notre histoire et jamais atteinte depuis ; qui a préparé une réforme agraire radicale, une élection fondée sur le suffrage universel, et des lois pour la réalisation de l'égalité de toutes les nationalités du pays.
Cette révolution et ce régime avaient â comme d'ailleurs le régime démocratique d'aujourd'hui â la mission de rattacher la Hongrie à l'Europe et de l'insérer dans le nouvel ordre des Etats de la région danubienne. Aucun autre régime ne pouvait être plus favorable pour les pays de la grande et de la petite Entente
que cette démocratie pacifiste qui avait une orientation à la fois européenne et danubienne. Les régimes hongrois d'extrême gauche et de droite qui allaient lui succéder étaient beaucoup plus militaristes et inquiétants pour le concert européen. La Hongrie démocratique de Mihaly Karolyi et son gouvernement, qui était composé de social- démocrates, de démocrates à toute épreuve et de libéraux sûrs, auraient été dignes d'être mieux traités par les puissances victorieuses et voisines.
Ces puissances, en premier lieu la France et ses alliés de l'Est â la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Yougoslavie â firent tout ce qui fut dans leur pouvoir pour isoler, déraciner et ruiner le régime démocratique et d'aider la venue au pouvoir des forces et des tendances antidémocratiques d'extrème-gauche et de droite.
« Ce que le gouvernement français fait est un véritable foyer de bolché- visme » â s'exclamait Mihaly Karolyi à la séance du Conseil des ministres ddu 17 décembre. Au même moment, les hommes d'Etat, les diplomates et les généraux français, s'efforçaient de justifier la dureté de leur attitude à l'égard de la Hongrie par le fait que les tendances et la propagande bol- chévistes devenaient de plus en plus importantes.
Fut-ce un cercle vicieux ?
On peut ramener la chute du régime démocratique et la naissance de la Commune hongroise à plusieurs causes, internes et externes.
Pour la Hongrie, la fin de la première guerre mondiale a entraîné un cataclysme des plus dramatiques, avec les conséquences les plus graves et les plus durables. Le détachement de territoires plus grands que la Hongrie actuelle, qui avaient appartenu depuis de longs siècle à l'Etat hongrois et qui avaient une grande importance économique, les révolutions qui, partiellement, en étaient la conséquence, et les vingt- cinq année de régime contre- révolutionnaire qui s'ensuivit, laissèrent des plaies mal cicatrisées, des problèmes sans solution. Toutefois un recul de soixante-dix ans nous permet un examen plus profond et
plus objectif des causes et du contexte des événements de ce temps. Il n'est pas nécessaire de démontrer l'importance exceptionnelle qu'a de ce point de vue la connaissance des sources documentaires étrangères, avant tout des archives diplomatiques et militaires qui révèlent directement les préoccupations et la politique des grandes puissances d'alors. Il est bien connu que pendant la période en question la France a joué un rôle décisif dans notre région de l'Europe de l'Est et que dans la plupart des cas la politique française est intervenue plus directement dans les destins de notre pays et du bassin danubien que la politique britannique ou américaine.
A Paris, aux Archives du Ministère des Affaires Etrangères, plusieurs centaines de volumes contiennent des rapports, des lettres, des télégrammes diplomatiques concernant l'Autriche, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Yougoslavie dont les problèmes étaient inséparables après la fin de la Grande guerre et la dissolution de la Monarchie des Habsbourg. Les archives militraires de Vincennes complètent fort bien ces matériaux. Parmi les documents de l'Armée française d'Orient, de l'Armée de Hongrie et du Groupe d'Armée de Hongrie, outre les rapports et les instructions de caractère nettement militaire, on trouve des dossiers politiques et diplomatiques de toute première importance. En utilisant une partie de ce matériel, le général Jean Ber- nachot a rédigé une série d'ouvrages sur l'Armée française d'Orient, et un volume à part sur l'Armée de Hongrie2. Toutefois dans l'historiographie politique française on ne voit pas, du moins à notre connaissance, de sérieux efforts pour réévaluer la politique française de 1918- 1919 dans le bassin danubien.
La Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine conserve, elle aussi, des documents originaux de premier ordre : les publications de la Conférence de la Paix 1919-1920, les Dossiers Klotzet les Dossiers Mantoux. Ces derniers contiennent, entre autres, les procès-verbaux originaux des délibé-