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Radebe: « Tu avais la crainte du blanc… »

 

Demain débute la Coupe d’Afrique des Nations en Afrique du Sud. Je vous ferai vivre cette CAN au jour le jour. Mais je tenais absolument avant l’entame à mettre en avant une interview qui est dejà passée sur ce blog mais qui nécessite un nouvel éclairage. J’ai eu la chance de rencontrer Lucas Radebe, une immense figure du foot continental lors de la Coupe du monde 2010. Sa carrière est une histoire de l’Afrique du sud en miniature, un magnifique résumé d’une terre trop longtemps abîmée par la politique de l’apartheid. Du Township de Soweto au capitanat à Leeds, ce personnage hors norme raconte cette vie exceptionelle. Un ami m’avait même dit qu’il faudrait la donner à Didier Deschamps et la faire lire à tous les joueurs de l’équipe de France. Pas une si mauvaise idée finalement…

Comment avez-vous vécu l’arrivée de la Coupe du monde en Afrique du Sud ?

Nous n’avions jamais imaginé avoir l’opportunité de vivre un tel moment ici. Cela symbolise ce que ce pays a réussi en si peu de temps, et pas seulement notre pays mais tout le continent africain. Un rêve s’est réalisé. On ne pouvait pas le croire quand nous avons été choisi comme pays organisateur… Il était enfin temps pour nous de fêter ça, de faire partie du monde dans son ensemble.

Vous avez tout connu dans votre carrière. Racontez nous le football du temps de l’apartheid.

C’était une période dure car nous n’avions rien, aucun équipement pour jouer. Nous ne connaissions que l’environnement où l’on vivait, on n’avait pas le droit d’en sortir. Si vous vouliez jouer au foot avec d’autres, vous deviez vous cacher ou aller dans des endroits que personne ne connaissait dans le township. Notre football aurait pu d’ailleurs aller largement plus haut sans ces barrières physiques devenues des barrières mentales.

Ce n’était pas évident d’exister…

Je viens d’un quartier de Soweto. A cette époque, dès que tu voyais une voiture de police, tu courais te cacher, tu avais la crainte du Blanc. C’était dur de ne pas avoir la liberté de mouvement, la liberté de jeu, nous n’avions pas la télévision, nous avions que deux ou trois « stations » blacks et nos modèles étaient les anciens qui jouaient dans le quartier. Le dimanche, on allait les voir. Et là, c’était top !

Où pouvait-on jouer à cette époque ?

Nous avons commencé dans les rues, dans la poussière, les yeux nous piquaient… Nous n’avions pas de chaussures, nous n’avions quasiment rien dans un pays où nous étions presque rien… Mais nous avons réussi. C’est totalement incroyable quand j’y repense, que je revois nos parcours ! Il y avait les Ligues à l’école et pour nous, c’était déjà formidable. Nous avons grandi dans cet univers si particulier.

 

 

 

Quand avez-vous joué contre des joueurs blancs ?

J’étais déjà vieux, c’était au début des années 90. C’était assez drôle car je ne restais pas trop près d’eux, on n’osait pas les marquer au début car on avait un peu peur… Cette peau représentait quelque chose pour nous. Au bout d’un certain temps, on en a fini avec cette histoire. Et nous avions des meilleurs qualités qu’eux (rire) ! On avait peur des blancs car nous n’avions pas réalisé, en fait, que nous avions plus de pouvoir qu’eux. Mais notre éducation nous avait forgé un certain caractère, une certaine manière de nous comporter. Si on faisait quelque chose contre un Blanc, on pouvait être chassé et envoyé en prison. Tout ça vous marque intérieurement

Puis vous êtes quand même parti…

J’ai gagné la chance d’aller à l’étranger. Pour moi, ce fut formidable, inimaginable. Des barrières cédaient. J’ai été l’un des premiers à partir et surtout le premier capitaine noir dans une équipe blanche anglaise. J’en suis tellement fier… Là, on ne parlait plus de football mais d’un acte important pour quelqu’un qui comme moi était né dans la discrimination. Capitaine, vous ne pouvez pas imaginer… Capitaine ! Le football change les vies de tant d’enfants venant de si bas. J’en suis l’exemple parfait. Moi, je viens d’une famille nombreuse et le seul moyen de gagner de l’argent était le football.

N’était-ce pas difficile de quitter votre pays ?

Bien sûr. J’ai mis du temps avant de me sentir à mon aise, l’Angleterre était tellement différente de mon mode de vie, de mon pays. Et n’oubliez pas la structure mentale dans laquelle on était enfermé par nos années d’apartheid. Quand j’ai pris l’avion pour l’Angleterre, je ne savais même pas où j’allais, je ne savais pas quoi espérer, ni dans quel club je mettais les pieds !  C’était un voyage vers l’inconnu. Mon agent m’avait dit : «  tu peux venir  ». Je suis allé sans savoir. C’était en 1994, une opportunité unique. Je voulais que les gens voient le talent que nous avions en Afrique, je portais en moi cette foi, ce respect des Noirs.

Mais de là à obtenir le brassard de capitaine…

Je n’y croyais pas. Quand George Graham, le manager de Leeds, m’a appelé, je ne savais pas à quoi m’attendre ou plutôt, j’avais de l’appréhension car en général, quand il vous appelait dans son bureau, vous étiez mal ! Je me suis demandé ce qui n’allait pas au moment d’entrer. Graham m’a alors dit : « J’ai été impressionné, tu as travaillé durement, tu t’entends avec tout le monde, je veux que tu mènes l’équipe.  » Je vous jure, je n’ai rien dit, pas un mot ne pouvait sortir de ma bouche. J’ai quitté le bureau toujours aussi silencieux. Les autres joueurs m’ont regardé. Il y avait des Anglais, des Ecossais, des Allemands, des Hollandais et j’avais été choisi comme le leader… C’était bien plus qu’une énorme surprise, un truc qui vous touche au plus profond de vous. Ensuite, certains étaient contents pour moi, d’autres un peu moins…

Ce capitanat, c’était un symbole exceptionnel ?

J’avais gagné le respect en donnant l’exemple. Je n’ai jamais joué pour l’argent mais pour l’amour du jeu, de la communauté. Je voulais montrer mon talent aux yeux du monde et ouvrir des portes pour les autres Africains. Je ne savais évidemment pas ensuite que tant de gens auraient ma chance. C’était une autre époque. Ce fut une expérience enivrante et surprenante.

On ne peut parler de votre vie en Afrique du Sud sans évoquer Mandela… Comment pourrait-on le faire ?

Je me souviens, quand il est sorti de prison, c’était Noël et le premier de l’an en même temps… Il y a eu une énorme fête. On était tous collés à la télé, on ne savait même pas à quoi il ressemblait ! Nous n’avions que des vieilles photos de lui, dont l’une où il était en boxeur. Quand on a vu ce vieil homme sortant de prison, on s’est mis à pleurer, à danser, à s’amuser… On ne savait finalement pas quoi faire ! On venait de toucher au but, c’était l’aboutissement d’un rêve. Nous pouvions être fiers de nous mêmes, de ce que nous avions réussi. Ça nous a ouvert le monde. D’un coup, on a eu l’impression qu’on pouvait sortir de chez nous et courir, comme libérès. C’était comme si nous venions de remporter la Coupe du monde.

Vous l’avez ensuite rencontré…

C’était l’expérience ultime. Je ne savais pas quoi lui dire. La première fois, j’étais comme figé. Impossible de bouger. Je voulais seulement lui toucher la main. Nous avons en nous la magie Madiba. Cette Coupe du monde 2010 l’a prouvé.

HERVE PENOT (@hpenot_lequipe)

Radebe, ce symbole

En ce jour historique du 94e anniversaire de Nelson Mandela, je tenais à vous livrer une interview -restée dans mes tiroirs- que j’avais effectuée à la fin de la Coupe du monde 2010. J’ai eu la chance de rencontrer Lucas Radebe, une immense figure du foot continental. Sa carrière est une histoire de l’Afrique du sud en miniature, un magnifique résumé d’une terre trop longtemps abîmée par la politique de l’apartheid. Du Township de Soweto au capitanat à Leeds, ce personnage hors norme raconte cette vie exceptionelle. On est si loin des crises de nerfs de joueurs surprotégés de notre début d’été…

 

Comment avez- vous vécu l’arrivée de la Coupe du monde en Afrique du Sud ?

Nous n’avions jamais imaginé avoir l’opportunité de vivre un tel moment ici. Cela symbolise ce que ce pays a réussi en si peu de temps, et pas seulement notre pays mais tout le continent africain. Un rêve s’est réalisé. On ne pouvait pas le croire quand nous avons été choisi comme pays organisateur… Il était enfin temps pour nous de fêter ça, de faire partie du monde dans son ensemble.

Vous avez tout connu dans votre carrière. Racontez nous le football du temps de l’apartheid.

C’était une période dure car nous n’avions rien, aucun équipement pour jouer. Nous ne connaissions que l’environnement où l’on vivait, on n’avait pas le droit d’en sortir. Si vous vouliez jouer au foot avec d’autres, vous deviez vous cacher ou aller dans des endroits que personne ne connaissait dans le township. Notre football aurait pu d’ailleurs aller largement plus haut sans ces barrières physiques devenues des barrières mentales.

Ce n’était pas évident d’exister…

Je viens d’un quartier de Soweto. A cette époque, dès que tu voyais une voiture de police, tu courais te cacher, tu avais la crainte du Blanc. C’était dur de ne pas avoir la liberté de mouvement, la liberté de jeu, nous n’avions pas la télévision, nous avions que deux ou trois « stations » blacks et nos modèles étaient les anciens qui jouaient dans le quartier. Le dimanche, on allait les voir. Et là, c’était top !

Où pouvait-on jouer à cette époque ?

Nous avons commencé dans les rues, dans la poussière, les yeux nous piquaient… Nous n’avions pas de chaussures, nous n’avions quasiment rien dans un pays où nous étions presque rien… Mais nous avons réussi. C’est totalement incroyable quand j’y repense, que je revois nos parcours  ! Il y avait les Ligues à l’école et pour nous, c’était déjà formidable. Nous avons grandi dans cet univers si particulier.

Quand avez-vous joué contre des joueurs blancs ?

J’étais déjà vieux, c’était au début des années 90. C’était assez drôle car je ne restais pas trop près d’eux, on n’osait pas les marquer au début car on avait un peu peur… Cette peau représentait quelque chose pour nous. Au bout d’un certain temps, on en a fini avec cette histoire. Et nous avions des meilleurs qualités qu’eux (rire) ! On avait peur des Blancs car nous n’avions pas réalisés, en fait, que nous avions plus de pouvoir qu’eux. Mais notre éducation nous avait forgé un certain caractère, une certaine manière de nous comporter. Si on faisait quelque chose contre un Blanc, on pouvait être chassé et envoyé en prison. Tout ça vous marque intérieurement.

Puis vous êtes quand même parti…

J’ai gagné la chance d’aller à l’étranger. Pour moi, ce fut formidable, inimaginable. Des barrières cédaient. J’ai été l’un des premiers à partir et surtout le premier capitaine noir dans une équipe blanche anglaise. J’en suis tellement fier… Là, on ne parlait plus de football mais d’un acte important pour quelqu’un qui comme moi était née dans la discrimination. Capitaine, vous ne pouvez pas imaginer… Capitaine ! Le football change les vies de tant d’enfants venant de si bas. J’en suis l’exemple parfait. Moi, je viens d’une famille nombreuse et le seul moyen de gagner de l’argent était le football.

N’était-ce pas difficile de quitter votre pays ?

Bien sûr. J’ai mis du temps avant de me sentir à mon aise, l’Angleterre était tellement différente de mon mode de vie, de mon pays. Et n’oubliez pas la structure mentale dans laquelle on était enfermé par nos années d’apartheid. Quand j’ai pris l’avion pour l’Angleterre, je ne savais même pas où j’allais, je ne savais pas quoi espérer, ni dans quel club je mettais les pieds !  C’était un voyage vers l’inconnu. Mon agent m’avait dit : «  tu peux venir  ». Je suis allé sans savoir. C’était en 1994, une opportunité unique. Je voulais que les gens voient le talent que nous avions en Afrique, je portais en moi cette foi, ce respect des Noirs.

Mais de là à obtenir le brassard de capitaine…

Je n’y croyais pas. Quand George Graham, le manager de Leeds, m’a appelé, je ne savais pas à quoi m’attendre ou plutôt, j’avais de l’appréhension car en général, quand il vous appelait dans son bureau, vous étiez mal ! Je me suis demandé ce qui n’allait pas au moment d’entrer. Graham m’a alors dit : « J’ai été impressionné, tu as travaillé durement, tu t’entends avec tout le monde, je veux que tu mènes l’équipe.  » Je vous jure, je n’ai rien dit, pas un mot ne pouvait sortir de ma bouche. J’ai quitté le bureau toujours aussi silencieux. Les autres joueurs m’ont regardé. Il y avait des Anglais, des Ecossais, des Allemands, des Hollandais et j’avais été choisi comme le leader… C’était bien plus qu’une énorme surprise, un truc qui vous touche au plus profond de vous. Ensuite, certains étaient contents pour moi, d’autres un peu moins…

Ce capitanat, c’était un symbole exceptionnel ?

J’avais gagné le respect en donnant l’exemple. Je n’ai jamais joué pour l’argent mais pour l’amour du jeu, de la communauté. Je voulais montrer mon talent aux yeux du monde et ouvrir des portes pour les autres Africains. Je ne savais évidemment pas ensuite que tant de gens auraient ma chance. C’était une autre époque. Ce fut une expérience enivrante et surprenante.

On ne peut parler de votre vie en Afrique du Sud sans évoquer Mandela…

Comment pourrait-on le faire ? Je me souviens, quand il est sorti de prison, c’était Noël et le premier de l’an en même temps… Il y a eu une énorme fête. On était tous collés à la télé, on ne savait même pas à quoi il ressemblait ! Nous n’avions que des vieilles photos de lui, dont l’une où il était en boxeur. Quand on a vu ce vieil homme sortant de prison, on s’est mis à pleurer, à danser, à s’amuser… On ne savait finalement pas quoi faire ! On venait de toucher au but, c’était l’aboutissement d’un rêve. Nous pouvions être fiers de nous mêmes, de ce que nous avions réussi. Ça nous a ouvert le monde. D’un coup, on a eu l’impression qu’on pouvait sortir de chez nous et courir, comme libéré. C’était comme si nous venions de remporter la Coupe du monde.

Vous l’avez ensuite rencontré…

C’était l’expérience ultime. Je ne savais pas quoi lui dire. La première fois, j’étais comme figé. Impossible de bouger. Je voulais seulement lui toucher la main. Nous avons en nous la magie Madiba. Cette Coupe du monde 2010 l’a prouvé.

HERVE PENOT (@hpenot_lequipe)