Archives mensuelles : avril 2015

Pour la route

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Rien n’est plus important que de transmettre. Juste après avoir été nommé entraîneur adjoint du XV de France fin 1990, Jean Trillo, que je tiens pour l’un des rares et authentiques philosophes de ce jeu, a dit : «Je ne viens que pour passer». Faire le tour de cette formule lapidaire lâchée à dessein par un ancien trois-quarts centre demande réflexion tant elle distille l’essence de ce jeu.

Passer c’est aussi être de passage, se rendre compte du temps qui ne revient pas ; et de celui qu’il nous reste pour distribuer ce que l’on a reçu. Le ballon comme métaphore, le rugby passant de sport à viatique, supplément à la vie qui nous oblige à nous frotter aux autres, à les rencontrer, à les affronter pour finalement se découvrir soi même.

Ami(e)s de Côté Ouvert, nous sommes en confiance. Alors je vous transmets les clés du blog pendant quinze jours. Vous me croiserez peut-être sur la route qui relie La Rochelle, Limeuil, Reims et Bruxelles, périple de forme oblongue au terme duquel je vous retrouverai ici le 4 mai. Peut-être viendrai-je semer dans l’intervalle une graine de relance dans le terreau de vos échanges.

Cette photo m’accompagne depuis plus de trente ans. Elle est au cœur de mon premier ouvrage, «Le Rugby au Centre», co-écrit avec l’ami Jacques Rivière, augmenté en 2003 chez un éditeur montois,  Jean-Lacoste. Elle m’accompagne parce que j’y trouve presque tout ce que je suis venu chercher dans le rugby puis le journalisme, à savoir la transmission.

En posant la paume de sa main sur l’épaule de Jo Maso, alors tout jeune international  – nous sommes sur la pelouse du stade Béguère de Lourdes en 1966 -, l’immense Jean Dauger adoube l’icône de la nouvelle génération. Ce qu’il lui transmet à cet instant, c’est sa confiance plus que son savoir. Et devant eux, Maurice Prat mime la réception du ballon. Avant l’offrande. Un tableau de Véronèse.

Dans les écrins d’ordinaire dévolus au football, Clermont et Toulon nous ont transmis beaucoup, eux aussi, lors des demies. Le Chaudron des Verts vibrait de jaune et de bleu, le Vélodrome était mouillé de rouge et de noir, fresques de milliers de points. Le contenant l’a emporté sur le contenu. En ce sens, aussi, que le rugby est un supplément à la vie.

Ce jour de 1966, les anciens internationaux lourdais, Maurice Prat et Roger Martine (en retrait sur ce cliché), avaient invité les trois-quarts centres du XV de France à venir échanger sur la pelouse en présence de celui qu’ils considéraient, œcuméniques, comme le père du jeu d’attaque, le Bayonnais Jean Dauger, international à XIII et à XV. Echanger, c’est transmettre. Le ballon était imaginé, la passe tracée dans l’air, et parfaitement visible.

J’imagine ce qu’il y a d’Aristote chez Jean Dauger, d’Anaxagore en Jo Maso ; je vois Maurice Prat parfait Diogène, Platon en Roger Martine, tous les quatre marchant de concert en se passant l’ovale au fil de leur déambulation comme autant d’interrogations. Une maïeutique en mouvement. En rugby comme en philosophie, les réponses sont des vérités éphémères, vite remises en jeu.

De la même façon, on peut voir Jack Kerouac (avec des faux airs de Franck Azéma) harnaché en footballeur américain en couverture d’un essai de Fausto Batella (Desports – éditions du sous sol) intitulé «Half Back», que je vous recommande. Et d’apprendre que Mister Beat a choisi l’écriture par défaut : il se rêvait balle en main, courant vers l’en-but. Au lieu de quoi il prit la route. Tracer, c’est parfois vital. A chacun sa règle.

Merci de vous présenter avec au moins vos vrais prénoms et un mail identifiable.

 

Affaire de cachet

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Ils sont entrés en concile vendredi dernier pour dresser leur liste. Celle des entraîneurs susceptibles de succéder à Philippe Saint-André. Ils en sont sortis pour déjeuner un appel à candidature à la main. Ces deux heures passées dans la salle de réunion du première étage, à Marcoussis, les sept sages (Camou, Blanco, Dunyach, Retière, Maso, Skrela et Lux) l’ont mise à profit pour modifier un mode opératoire, pré carré du président de la FFR depuis 1963 et la nomination de Jean «Mr. Rugby» Prat comme homme de terrain du XV de France.

Lettre recommandée avec accusé de réception – le cachet de la poste faisant foi – projet de jeu, projet de staff, et tout ça adressé à Marcoussis avant le 25 avril. Hier demandeurs, les élus fédéraux et leurs affiliés sont désormais en position de force. Juste avant la 22e journée de Top 14, aucun coach – leurs noms étaient abondamment cités dans la presse, à savoir Laurent Travers et Laurent Labit (Racing-Métro), Guy Novès (Toulouse) Fabien Galthié, Fabrice Landreau (Grenoble), Fabien Pelous (FFR) et Raphael Ibanez (Bordeaux-Bègles) – n’a souhaité s’annoncer clairement candidat tricolore. 

Pourquoi soudainement autant de prudence de la part de ceux qui hier, ou pour certains bien avant, souhaitaient prendre les rênes du XV de France ? Parce qu’en demandant de poster une profession de foi, la FFR les oblige à se dévoiler très vite au sein de leurs clubs respectifs. Comme personne n’a la garantie d’être début juin l’heureux élu, tous craignent d’être fragilisés. Car avant de postuler, les candidats vont devoir annoncer cette semaine à leur président qu’ils envoient un courrier cacheté à Marcoussis, avec vue sur le XV de France. En plein emballage final du Top 14, pas facile à gérer…

Placé hors de cette zone de turbulences depuis qu’il a été viré de Montpellier, Fabien Galthié, qui ne manque pas de cachet, monte en pole position. Juste derrière lui on retrouve Raphael Ibanez. Depuis un mois, son président, Laurent Marti, piste trois remplaçants (Yannick Bru, Vern Cotter et Joe Schmidt). Troisième tête d’affiche, Fabien Pelous. Homme du sérail, élu fédéral, capitaine tricolore d’envergure et recordman des sélections, manager des équipes nationales de jeunes, il est déjà parfaitement intégré à Marcoussis et disponible immédiatement. Tout pour plaire.

Lundi 27 avril, la FFR qui joue l’ouverture communiquera-t-elle sur les lettres reçues et sélectionnées ? En attendant, les téléphones portables saturent. Certains ficèlent leur projet (ils ont commencé à l’écrire il y a déjà quelques temps), sondent certains de leurs collègues pour savoir qui a envie de travailler avec eux au sein d’un staff tricolore, et se demandent, alors qu’ils avancent encore un peu cachés, comment ils vont emballer tout cela pour l’offrir à leurs présidents, à leurs staffs et à leurs joueurs. Ils ont quinze jours devant eux. Et après, pour le(s) meilleur(s), quatre ans.