Gabart, Coville and co contre le Queen Mary

Damien Grimont est ingénieur. Il a construit des vrais ponts. Il est aussi passé sous certains pour mener un frêle esquif à la victoire dans une mini-transat intercontinentale. Il est aussi en passe d’en lancer un, en béton virtuel mais bien réel, entre Saint-Nazaire et New-York, ce qui est plutôt long. Ca s’appellera The Bridge. « Un pont fraternel entre la France et les Etats-Unis. » Au programme un défilé militaire et maritime puisqu’il s’agit d’abord de se souvenir du débarquement de 1917et de la grande guerre libératrice. Mais aussi du jazz, du basket, et du bateau car les soldats US avaient touché la côte -ils furent deux millions- avec un peu plus que leurs fusils.

Si on décalottait Damien Grimont, on découvrirait quoi dedans?  Peut-être bien des engrenages et des roues crantées, une sorte de mouvement perpétuel, d’idées barges jetées comme ça sur un coin de bar irlandais ou vannetais. Certaines se noieront dans le vin du soir. D’autres accoucheront (ce qui sous entend gestation, bel effort et incertitude). Grimont a cogité un port en rond, le Blue Ring, sorte de parking à étages intégré pour ranger sans gâcher le paysage les bateaux qui prennent l’eau une fois par an. Grimont a organisé la transat du chocolat qui se voulait un échange solidaires Nord-Sud. Grimont fait dans les chiffres et les lettres. Il a lu des livres et retenu cette antienne d’Isaac Newton qui chérissait aussi le mouvement entre les hommes : « We build too many walls and not enough bridges. » En français: construisons des ponts plutôt que des murs. Par exemple The Bridge. Le 24 juin 2017, un siècle après que le premier soldat US ait posé le pied du sauveur sur les côtes bretonnes, les multicoques ultimes de Gabart, Coville, Le Blevec et sûrement Joyon, défieront le Queen Mary 2, entre le Pont de Saint-Nazaire et le pont de Verrazano à New-York City.

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L’ingé a tout étudié:  » lui (le QM2) met six jours et demi, les multi, d’après les polaires, mettront entre 6 et 9 jours. » L’idée est belle. Et mérite de se taper du près. Le Queen Mary a bien des chances de snober les voiliers.  » Peut-être que ça permettra d’établir un record à battre. » Dans l’autre sens, l’antique goélette trois mats de Charlie Barr, demeura l’étalon historique d’un record épique, établi en 1905 (12 jours et 4 heures), effacé trois quarts de siècle plus tard par le trimaran d’Eric Tabarly (10 jours et  5 heures). C’est toujours l’histoire qui fait avancer les hommes.

Avant d’embarquer pour Itajaí et la transat Jacque Vabre, Francois Gabart avait eu le temps d’enregistrer un petit mot. il est question « de jouer le jeu retour. » Une sorte de débarquement pacifique.

L’affaire est fort ambitieuse: 6 millions d’euros de budget sans compter la location du paquebot emblème. 2620 passagers. Qu’il faudra trouver. Des hommes de très bonne volonté se sont engagés. Comme Tony Parker pour la partie basket. Comme Jean-Yves Le Drian pour la partie politico-bretonne.

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« Jean-Yves », comme l’appellent nombre de marins, recevait l’autre soir, en son Ministère de la Défense, l’hôtel de Brienne. Y avait de l’âgé et du gradé. C’est le genre d’occasion où les plus mal à l’aise ont bien envie de couper leur bracelet brésilien pour orner le revers vierge de leur veston, car tous les autres font dans la barrette multicolore ou la légion rouge. « Jean-Yves » a beaucoup à faire. Il est en guerre. Il prépare aussi les élections régionales avec le skipper préféré de tous Bilou Jourdain, en co-listier éligible. « Jean-Yves » et le Ministre ne sont pas assez d’un. Mais il a pris une heure pour lancer officiellement The Bridge depuis ses salons devant un parterre très franco-américain. Il a commencé ainsi :

« Depuis Lafayette, nous menons un même combat pour la liberté, que nous continuons ensemble aujourd’hui de défendre… »   LAFAYETTE

Le Ministre a déjà évoqué le dossier The Bridge avec son homologue américain. C’est comme deux parties qui inexorablement vont se rejoindre.

Les discours et les petits fours se prolongeaient. Il était temps de flâner dans les pièces qui succédent aux pièces qui succédent aux pièces. Clémenceau était là, droit rigide et moustachu, en statue de bronze, dans son bureau, devant sa carte d’état-major, détaillant le front de Verdun… Les U-boats allemands n’allaient pas tarder à viser les navires américains, décidant les américains à traverser l’Atlantique.

Du pupitre, que le Ministre et deux ou trois autres, avaient laissé au volubile Michel Lucas, président de la confédération nationale du Crédit Mutuel, sponsor co-fondateur de The Bridge  parvenaient les bribes de discours. « Faut pas oublier l’histoire... » Comme des ponts à travers le temps. S.L’H.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mystérieux hollandais naviguant

 

« Les marins de toutes les nations croient à l’existence d’un bâtiment hollandais dont l’équipage est condamné par la justice divine, pour crime de pirateries et de cruautés abominables, à errer sur les mers jusqu’à la fin des siècles. On considère sa rencontre comme un funeste présage… » 

Ainsi se conte la légende, revue et corrigée, du hollandais volant, ou flying Dutchman.

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Ici ,il ne s’agira que d’une pâle adaptation, non belliqueuse, sur le traces d’un des six bateaux neufs construit pour le Vendée Globe 2016, où le nom du mystérieux skipper, pourrait bien apparaître à la fin de ces lignes.

Un conte à dormir assis, ou plutôt une chasse au trésor, instruite depuis la capitainerie de l’équipe magazine à Boulogne pas sur mer, avec sur les rives bretonnes @thomas Philibert, @Olivier Cohen et quelques autres passagers de la blogosphère en vigies avisées.

Indice 1, le bateau convoité.

Un midi à Paris, un marin encore méconnu tend sa main. Il cherche des sous pour être du Vendée Globe 2016. Il s’assied à table, là où le sel ne suffit pas à rappeler la mer. On l’écoute : son histoire est bien plus épaisse que celles de ces pilotes d’écume clonés qui ont intégré les écoles d’ingénieurs et subissent une communication cloue-becs. Pourtant sa sébile n’est pas bien pleine. On secoue un peu l’homme. « Pourquoi un chef d’entreprise devrait te donner plus à toi qu’à un autre ? » Le marin est côté, l’homme est sympa, le type est causeur. Il a déjà tourné autour du monde en excellente compagnie. Il a le profil mais le temps court. Il se retient et puis non : « quand j’en vois certains… » Ben oui le Vendée Globe c’est pas que les seize meilleurs capitaines. Faut encaisser. Il détaille le marché : « c’est surtout les bateaux qui vont manquer… » La dernière grosse occasion vient de filer sous le nez de lui et de plusieurs envieux. Une occasion neuve en plus. Un plan VPLP-Verdier, le cabinet à la mode, designé tout spécialement pour l’italien Andréa Mura, baptisé Vento di Sardegna. La région Sardaigne payait. Et puis la région n’a pas assumé jusqu’au bout. Vendu. 3,5 millions à ce qu’il se dit, à un particulier qui serait fort âgé et pas du cercle des initiés. « Peut-être qu’il y aura des bateaux à récupérer au dernier moment… ». C’est pas de la rancœur. Juste de l’envie d’en être.

Indice 2, le tweet qui attise.

C’est le tweet d’octobre qui excite la blogosphère vellique. Une photo qui montre mais qui ne montre pas. L’ex Vento di Sardegna n’est pas voué à devenir ponton à mouettes. il vogue sans nom. Avec qui? Michel Desjoyeaux confirme juste une rumeur. C’est bien sa structure, Mer agitée, son écurie de course au large qui gère le bateau. Mer agitée gagne à chaque coup le Vendée Globe. Deux victoires avec le patron. Deux victoires avec ses skippers choisis, Vincent Riou puis François Gabart. Le patron n’a rien à dire de plus: « j’ai une clause de confidentialité. » Une rumeur naît: Desj himself?

Indice 3, le pavillon tricolore.

Le bateau, encore brut de flocage, souvent flotte dans la port de Port la Forêt. Il est maté. Un matin une voile est hissée. Une lorgnette qui passait par là, croit se souvenir d’une inscription : NED 160. NED comme Nederland. Et à part ça. « Il y avait à bord un gars avec une barbe blanche. Ils l’appelaient capitaine. » On n’est pas si loin finalement du port d’Amsterdam.

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Indice 4, la Hollande l’autre pays des marins.

C’est pratique la pêche sur twitter: on chalute beaucoup sans se mouiller. Skipper + Dutch ? = Henk de Velde. Le profil est parfait. Un baroudeur poilu de 65 piges qui ne cesse se couper latitudes et longitudes sur à peu près tout ce qui flotte en y mettant le temps. Six tours du monde au compteur. Un septième à venir? Son site internet est évocateur: « Never Ending Voyage. » Le voyage sans fin. HdV serait-il le capitaine barbe blanche vu à Port la Forêt. il fraye sur twitter. Il répond : « c’est pas moi mais je sais qui c’est… » Henk a trop d’amis sur Facebook pour en faire le tour. Reste à le soumettre à la question en révisant l’almanach des marins bataves. Hans Bouscholte? Adrian Van Oord? HdV est sympa: « Son nom est Erik de Jong mais il négocie encore et ne veut pas parler. » Erik de Jong? Le Cruising Club of America lui a décerné une belle médaille pour une navigation émérite dans les glaces du far North…

C’est là qu’il faut tendre les oreilles au bout des comptoirs bretons, ramasser les mots et essayer de tisser des bouts de vérité.

Erik le orange ne serait pas notre homme. Il lorgnerait un bateau plus modeste que l’ex Vento di Sardegna. Il est question de l’ex Initiatives qui a vu le Horn avec Tanguy de Lamotte et ses robots.

Le vrai homme, celui qu’on cherche, aurait acheté un autre bateau, qui lui aussi à appris à faire des tours et connait la route, celui d’Alessandro di Benedetto, avant donc de trouver mieux.

Aux bouts des comptoirs et aux bouts des nuits, les vérités ne sont pas toujours claires. On a trop de bateaux, trop de hollandais et pas assez de noms.

Indice 6, appelez-le Pieter.

Le vent d’Ouest, parfois, charrie, des messages privés en 140 signes ou moins. Celui-là suggérait juste un prénom « Pieter« . Pieter + Dutch + Skipper ? = Pieter de Kam. Un capitaine fracasse qui a perdu un bateau quasi centenaire au large de l’Irlande. Pourquoi pas lui, pourquoi pas un autre? La Hollande a décidément beaucoup de skippers à barbes blanches.

Indice 7, appelez-le-encore Pieter.

Trois mots enfin peints sur l’arrière du bateau au skipper inconnu: « no way back ». Et un petit pavillon hollandais. No way back + dutch +skipper ?= Pieter Heerema.

clueCette fois… Au jeu du Qui est-ce? Pieter Heerema est ciblé. hollandais3

 

Belle toison blanche de sexagénaire. Belle fortune amassée, entre autres, dans le off shore. Belle pratique de la voile, en particulier, en RC44, une série pour riches proprio initiée par Russell Coutts, où les équipages moulinent et ceux qui payent doivent être à la barre. Est-ce assez pour postuler au Vendée Globe? On en a vu d’autres qui… Michel Desjoyeaux, qui serait donc son mentor, fait toujours l’huitre, en off comme en in.

L’ex Vento di Sardegna, qui semble donc rebaptisé No Way Back, pourrait être engagé sur le B to B (départ le 6 décembre), la transat en solo entre Saint-Barth et Port la Forêt.  Avec Pieter Heerema à la barre? A moins qu’il cache un petit protégé…

 

 

S.L’H. (avec Olivier Cohen et Thomas Philibert)

 

Le Horn survival kit

Quand l’aventurier et marin, Mike Horn vous serre -amicalement- la main ou le cou, vous vous souvenez de la fois d’avant, et vous vous préparez à compter et à remettre dans le bon ordre, cervicales, os et abattis. C’est qu’il dégage une force d’invincible, une sorte de Hulk suisse.

Quand Mike Horn vous raconte dans des livres à ne pas dormir la nuit ses pérégrinations australes, boréales et quasi fatales, vous avez presque du mal à croire à leur réalité. C’’est juste qu’il est trop fort.

Un ours blanc et pas content menace Mike? Mike lui fait face physiquement, inverser le rapport de domination. C’est tout juste s’il mue pas la bête en peluche.

« Je me défie de la peur, elle est mauvaise conseillère » rigole t-il. Car il rigole beaucoup.

Un froid à faire geler le mercure l’assaille jusque dans son duvet ? Mike ingurgite six litres de flotte au diner, compte sur sa prostate pour agir comme un réveil deux heures plus tard, pisse dans deux bouteilles et s’en sert de bouillottes sauve-petons.

Mike-Horn1

 

Mike était de pince fesses et de serre paluches l’autre jour dans la Tour infernale Montparnasse. C’était chez XO l’éditeur qui vend des livres qui se lisent. C’était au 47 éme étage et Mike nous a assuré qu’il avait pris l’ascenseur. D’habitude il fait pas comme les autres et forcément plus compliqué. Mais bon, il vieillit, il a s’approche des cinquantes berges et descend vers la mauvaise rive.

« C’est la chute libre » re-rigole t-il.

Il s’en revient, il s’en repart.

Mike était de passage, juste le temps d’un livre. Un travel survival kit intitulé « Vouloir toucher les étoiles ».   HORN2

Mike avait pris l’habitude de coller aux lignes à la fois géométriques et géographiques que ma petite Marie apprend à suivre en CM1. Le gros trait épais de l’Amazone qui est un fleuve avec plein d’affluents dedans. L’équateur qui sépare la terre en deux hémisphères égaux, le nord en haut, le sud en bas. Le cercle polaire arctique qui…. euh je me rappelle plus.

Mike cette fois avait décidé d’humer l’air des montagnes. C’est qu’en d’autres temps une petite bande d’indéfectibles défricheurs et défriseurs s’était constituée sur le trimaran volant de Laurent Bourgnon. Quand on a eu pour compagnon de winch Jean Troillet, éminent Himalayiste, impossible de lui refuser sa main quand il vous propose d’aller voir au-dessus de tous les nuages, à plus de 8000 mètres, ce qu’on respire de la vie. Au programme un enchainement Gasherbrum 1 et 2, et surtout K2 et Makalu, deux montagnes vraiment tueuses, bien supérieures au trop fréquenté Everest. Et peu importe si Mike a certes beaucoup crapahuté mais très peu grimpé. Il est passé partout, il passera partout.

Mike ne meurt jamais.

« Je n’ai pas le choix, j’ai deux filles. »

Mike a vu un cancer foudroyant choper trop tôt son père ;

« J’ai compris ce que c’était le manque. »

Ce père qui lui avait appris à lire un mur blanc. Que vois tu ? Du blanc. Reviens demain fils. Qui y a-t-il sur ce mur ? Il faut voir au-delà ce que les autres ne voient pas.

Mike a survécu à la guerre en Namibie.

« J’avais dix neuf ans, un fusil et je commandais quelques soldats. J’ai compris que la priorité n’était pas de tuer mais de rester vivant. »

Mike est donc monté au-dessus des nuages deux hivers durant. Il a bifurqué sur le chemin de droite le jour où les talibans attendaient à gauche les alpinistes occidentaux tout juste bons à être exécutés. Il a donné son piolet à un roumain en perdition alors qu’il est des zones ultimes où l’homme en survie ne doit penser qu’à sa gueule. Il a n’a pas respecté l’usage des paliers d’acclimatation. Il a retourné des cadavres congelés, pas revus des compagnons de bivouacs. Il a surtout traîné plus que de raison aux sommets parce que…

« ton esprit n’est plus dans ton corps, il est a côté, tu planes, tu es libre et heureux. C’est du jamais vécu, tu sais que tu dois redescendre, mais tu n’es pas pressé… »

Mike est revenu.

En bas l’attendait Cathy, jeune et jolie, pas assez agée en tout cas pour perdre contre la bête, la crabe, le cancer.

« C’est moi qui aurait dû mourir je ne sais pas combien de fois, et c’est comme si c’est elle qui payait pour mes conneries. Je ne crois pas en Dieu, pas en celui crée pour les hommes, mais à un créateur. C’est moi qu’il aurait dû prendre. »     Horn3

 

Cathy s’en est allée, Mike continue son chemin :

«Je ne vais pas rester à la maison et pleurer. Avec Cathy on s’est dit qu’on avait vécu 25 années fantastiques. »

Mike bien sûr reprend bientôt ses groles et son bateau. Pour une odyssée entre les deux pôles, histoire de jouer le long des méridiens. La terre est comme un ballon qu’il tourne et retourne dans ses paluches. Il l’aura usée sous toutes ses coutures.

« Je n’ai pas peur de mourir. Je veux devenir vieux. Mais c’est comment tu pars qui est important. »

Etre vivant avant qu’il ne soit trop tard. S.L’H.

Fontenoy et Ravussin sont sur une terre…

 

Roland Jourdain est un poète qui ne fait pas des vers en ayant l’air. N’empêche que Ségo, la Ministre toute drapée de vert, devrait royalement imposer sa prose qui ne rime pas à rien dans toutes les manuels des écoles. Car naturellement Jourdain qui sait faire le bon marin sait aussi tisser de bien belles phrases :

« La mer est un tapis bleu, sous lequel on glisse tout. »

En langage plus ordurier ça donne: une bâche bleue avec plein de saloperies cachées.

Steve Ravussin est un suisse du canton de Vaud qui a tellement descendu fort ses montagnes en snowboard qu’il a atterri le cul sur un bateau, celui de Bourgnon d’abord, de Cammas ensuite, pour en arriver aux siens. Le dernier était un trimaran de 70 pieds, un MOD, baptisé Race for the Water. Une poche en Suisse et un pied en Bretagne c’est idéal pour affréter de couteux et magnifiques engins en carbone qui volent au-dessus du tapis bleu. « Ravuss » s’imaginait pouvoir inventer une voile moderne et spectaculaire, avec des multicoques funs et tous pareils, qui feraient le show. Lui et ses investisseurs suisses ont juste oublié, que ce sport parfois abscons n’intéresse guère quand il se pratique en équipage. La série MOD n’a pas duré. « On n’a pas été comrpris, ou on n’a pas su se faire comprendre, mais bon…. » Les bateaux, une demi-douzaine, sont restés pendus dans les cimaises des chantiers avant d’être soldés un à un à des très riches qui s’amusent entre eux aux Caraïbes ou aux antipodes. Ravussin est resté avec le sien et s’en est allé vérifier, non pas que la terre était ronde, mais qu’elle était sale. Ca s’appelait, et ca s’appelle toujours, Race for Water Odyssey. « Une course contre la montre pour sauver les océans de la pollution plastique. » Un bien beau voyage, avec les yeux pour voir au large et les mots pour le dire aux escales. Adieu Bordeaux hardi les gars, Bermudes et bermudas, New-York ma pomme, Valparaiso nous irons nous, l’Ile de Pâques, Shanghai, Koror, Chagos… Et puis boum, fin septembre, Ravussin a chaviré.

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On a rit à la Trinité, où les cirés n’ont pas toujours été salis au sel. Ravussin s’était encore mis sur le toit. C’est que la Route du Rhum 2002 a marqué. Ravussin avait la victoire devant, avait plus rien derrière puisque les suivants, 700 milles derrière, n’étaient guère à portée de lorgnette. C ‘était en course, au bout de la fatigue, compréhensible. Mais se renverser en convoyage dans des mers pacifiques… Sauf qu’il faudrait pas aller trop vite en sale réputation. Ravussin pionçait à moitié voire entièrement. Il n’était pas de quart.

« La nuit était noire, ils ont pas vu venir un grain. Dans l’Indien ça monte et ça descend vite le vent. Avec ces bateaux, ca pardonne moins. »

Les MOD ont beaucoup sanci, chaviré, culbuté, cassé.

« Ils ont pas eu le bon réflexe, quand ca t’es jamais arrivé tu sais pas forcément faire. On a d’abord chaviré par la côté, et puis par l’arrière, les trois étraves au ciel.  »

Y aura pas de Rodrigues, de Tristan de Cunha, de Rio, de Cap Vert…  32142 milles nautiques et c’est fini, au moins par la mer.  Le trimaran désormais sans mature a été récupéré, traîné jusqu’aux Maldives, embarqué sur un cargo. Et Steve a retrouvé sa Suisse. « On va continuer par la terre, avec les colloques, les visites aux scientifiques, les témoignages. »

Ils ont vu quoi alors?

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« Le monde entier est recouvert de plastique et de saloperies. N’importe quelle île où tu t’arrêtes, il y en a partout. De loin c’est le paradis, mais de près c’est un tas d’ordures. Ca fait mal au cœur. C’est inimaginable. Je le savais déjà un peu, mais quand tu le vois de près. Et en plus il y a des tas d’îles où tu es interdit. Soit disant que c’est des réserves. Mon cul… C’est peut-être ce qu’on voit pas qui est le pire. Faut expliquer tout ça. Nos enfants verront pas le même monde que nous. »

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Puisqu’ils osent cheminer là où le pecum ne peut tremper l’orteil, le marin aura toujours un œil d’avance. C’est comme s’ils avaient la révélation de l’état du monde avec une marée d’avance. Ils ont certes un mauvais bilan carbone à se faire pardonner, car leurs esquifs ne sont pas de bois. Mais ils se mouillent et seront très présents en décembre à la COP 21, la grand conférence mondiale qui entend nettoyer la terre et la mer. Merci à Ravussin, Jourdain, Autissier ou Chabaud. Et on dit quoi à Maud Fontenoy, qui après s’être prétendue marin avec un tour du monde qui en avait surtout le nom (elle a rogné sur le parcours), conçoit l’écologie « modérée et réaliste » (sic) avec du nucléaire, des pesticides et de l’OGM dedans ?

Roland Jourdain n’est pas encore étudié à l’école. Maud Fontenoy un peu, formidable chaluteuse politique, qui a réussi à imposer son kit pédagogique émis par sa fondation basée en paradis fiscal. Une pétition « Débarquons Maud Fontenoy des écoles » circule, signée par plus de 14 000 citoyens. Le Ministère a répondu sans répondre. Maud est toujours étudiée en classe

« La mer est un tapis bleu sous lequel… » S.L’H.

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Le marin qui en avait une grande

Connaissez-vous l’histoire de la grenouille à grande bouche qui s’en va partout demandant : -Qu’est-ce que tu manges toi? Jusqu’au jour où elle tombe sur un crocodile à grandes dents qui lui réplique: -je mange des grenouilles qui ont de grandes bouches.

Connaissez-vous l’histoire de Nicolas Boidevézi, marin à langue pendue qui s’en va faire le prochain Vendée Globe, qui s’en va partout avec un naturel rafraîchissant. Jusqu’au jour où ses camarades d’aventure déteindront sur lui, où il répondra en citant une fois le nom de son sponsor toutes les deux phrases, où il essayera-de-faire-mieux-la-prochaine-fois, où il remerciera son équipe, où non-il-se-passe-rien-à-bord (chut: j’ai pas déchiré ma voile, je suis pas parti en vrac, je suis pas un con avec mon option à la Fontenoy), où il oubliera l’émotion, l’humour, le vécu coco, où, une fois aterri, il ne boira que du petit lait de peur d’être ivre et humain, où il finira lui aussi par nous ennuyer.

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Nicolas Boidevézi a déniché un mécène-investisseur encore caché (sous une Charlotte -mais ça c’est incompréhensible sauf pour ceux qui le connaissent) qui a cherché avec lui un beau bateau d’occasion. « On s’est beaucoup cassé le nez » raconte t-il. « On a négocié un mois sur un premier bateau avant d’être battu par plus offrant, on négocié un autre mois sur un second bateau avant d’être battu par plus offrant, on a négocié un troisième mois sur un troisième bateau avant d’être battu par plus offrant… » Le quatrième fut le bon. C’est plus cher mais c’est meilleur: l’ancien destrier tout noir d’Alex Thomson, baptisé Hugo Boss, qui claqua le bronze au Vendée Globe 2012/2013. Depuis avril, l’ancien Ministe, passé donc de 6m à 18m, change de dimension: « je suis loin d’avoir pris la mesure du bateau, c’est le côté sexy du challenge. »

Nicolas Boidevézi entre dans une confrérie qui peu à peu vire au cénacle de moines souscrivant au vœu de contrôler leur parole. Ah Lamazou, Ah Terlain, Ah Parlier, Ah Desjoyeaux, Ah Le Cam. Les bons mots et les accents de la sincérité se perdent. C’est que la comm politiquement correcte est passée par là. C’est pourtant une erreur fondamentale. C’est le fond de commerce qu’ils assassinent.

Heureusement, Yann Eliès revient. Heureusement on n’est pas l’abri que les Suisses demandent un peu moins de mails probatoires pour accéder à Seb Josse qui ne demande que ça. Et heureusement, le petit Nico… Sauf si le crocodile le bouffe.

Photo Crocodile Dundee

Photo Crocodile Dundee

On a juste voulu vérifier très vite, avant qu’il ne s’embarque pour une nav en Med avec Thomson, si Nico était déjà menacé par les grandes dents.

-Vas-tu te ranger?

-J’aimerais bien être pire qu’avant. Mais tant que je n’ai pas de sponsor, je reste un peu flou sur la stratégie générale. On a le bateau, pas encore le budget de fonctionnement.

-Toi qui es aidé par l’Alsace, peux-tu encore dire que le jour où les Alsaciens ont refusé la réunification par vote, c’était rétrograde?

-Ben oui c’était une grosse erreur. Résultat c’est l’Etat qui nous l’impose.

-Est-ce que tu promets de ne pas faire pousser de salade sur ton bateau, ou de ne pas emporter de robot pour entretenir le buzz comme déjà vu et subi ?

-Je suis très nature, j’aimerai bien emporter un arbre. Et pas de robot à bord, mais plutôt des outils pour innover terme d’image.

-Ta parole restera celle de la jeunesse libre?

-Le but c’est pas non plus de se faire des ennemis et de se griller bêtement. Si je peux rester taquin c’est peut-être sur la façon dont on bosse en France par rapport à l’Angleterre. Chez nous c’est trop vu comme un loisir pas assez comme un business. Ils sont « One step ahead. »

Le CSA, chargé de l’audiovisuel, ne s’occupant guère de ses ondes à lui, on pourrait peut-être lui emprunter des lettres, rebaptiser le tout Conseil de Surveillance de l’Alsacien, et émettre un avis dès que le sieur Boidevézi manquera à ses obligations de sincérité, d’hilarité etc etc.