Damien Grimont est ingénieur. Il a construit des vrais ponts. Il est aussi passé sous certains pour mener un frêle esquif à la victoire dans une mini-transat intercontinentale. Il est aussi en passe d’en lancer un, en béton virtuel mais bien réel, entre Saint-Nazaire et New-York, ce qui est plutôt long. Ca s’appellera The Bridge. « Un pont fraternel entre la France et les Etats-Unis. » Au programme un défilé militaire et maritime puisqu’il s’agit d’abord de se souvenir du débarquement de 1917et de la grande guerre libératrice. Mais aussi du jazz, du basket, et du bateau car les soldats US avaient touché la côte -ils furent deux millions- avec un peu plus que leurs fusils.
Si on décalottait Damien Grimont, on découvrirait quoi dedans? Peut-être bien des engrenages et des roues crantées, une sorte de mouvement perpétuel, d’idées barges jetées comme ça sur un coin de bar irlandais ou vannetais. Certaines se noieront dans le vin du soir. D’autres accoucheront (ce qui sous entend gestation, bel effort et incertitude). Grimont a cogité un port en rond, le Blue Ring, sorte de parking à étages intégré pour ranger sans gâcher le paysage les bateaux qui prennent l’eau une fois par an. Grimont a organisé la transat du chocolat qui se voulait un échange solidaires Nord-Sud. Grimont fait dans les chiffres et les lettres. Il a lu des livres et retenu cette antienne d’Isaac Newton qui chérissait aussi le mouvement entre les hommes : « We build too many walls and not enough bridges. » En français: construisons des ponts plutôt que des murs. Par exemple The Bridge. Le 24 juin 2017, un siècle après que le premier soldat US ait posé le pied du sauveur sur les côtes bretonnes, les multicoques ultimes de Gabart, Coville, Le Blevec et sûrement Joyon, défieront le Queen Mary 2, entre le Pont de Saint-Nazaire et le pont de Verrazano à New-York City.
L’ingé a tout étudié: » lui (le QM2) met six jours et demi, les multi, d’après les polaires, mettront entre 6 et 9 jours. » L’idée est belle. Et mérite de se taper du près. Le Queen Mary a bien des chances de snober les voiliers. » Peut-être que ça permettra d’établir un record à battre. » Dans l’autre sens, l’antique goélette trois mats de Charlie Barr, demeura l’étalon historique d’un record épique, établi en 1905 (12 jours et 4 heures), effacé trois quarts de siècle plus tard par le trimaran d’Eric Tabarly (10 jours et 5 heures). C’est toujours l’histoire qui fait avancer les hommes.
Avant d’embarquer pour Itajaí et la transat Jacque Vabre, Francois Gabart avait eu le temps d’enregistrer un petit mot. il est question « de jouer le jeu retour. » Une sorte de débarquement pacifique.
L’affaire est fort ambitieuse: 6 millions d’euros de budget sans compter la location du paquebot emblème. 2620 passagers. Qu’il faudra trouver. Des hommes de très bonne volonté se sont engagés. Comme Tony Parker pour la partie basket. Comme Jean-Yves Le Drian pour la partie politico-bretonne.
« Jean-Yves », comme l’appellent nombre de marins, recevait l’autre soir, en son Ministère de la Défense, l’hôtel de Brienne. Y avait de l’âgé et du gradé. C’est le genre d’occasion où les plus mal à l’aise ont bien envie de couper leur bracelet brésilien pour orner le revers vierge de leur veston, car tous les autres font dans la barrette multicolore ou la légion rouge. « Jean-Yves » a beaucoup à faire. Il est en guerre. Il prépare aussi les élections régionales avec le skipper préféré de tous Bilou Jourdain, en co-listier éligible. « Jean-Yves » et le Ministre ne sont pas assez d’un. Mais il a pris une heure pour lancer officiellement The Bridge depuis ses salons devant un parterre très franco-américain. Il a commencé ainsi :
« Depuis Lafayette, nous menons un même combat pour la liberté, que nous continuons ensemble aujourd’hui de défendre… »
Le Ministre a déjà évoqué le dossier The Bridge avec son homologue américain. C’est comme deux parties qui inexorablement vont se rejoindre.
Les discours et les petits fours se prolongeaient. Il était temps de flâner dans les pièces qui succédent aux pièces qui succédent aux pièces. Clémenceau était là, droit rigide et moustachu, en statue de bronze, dans son bureau, devant sa carte d’état-major, détaillant le front de Verdun… Les U-boats allemands n’allaient pas tarder à viser les navires américains, décidant les américains à traverser l’Atlantique.
Du pupitre, que le Ministre et deux ou trois autres, avaient laissé au volubile Michel Lucas, président de la confédération nationale du Crédit Mutuel, sponsor co-fondateur de The Bridge parvenaient les bribes de discours. « Faut pas oublier l’histoire... » Comme des ponts à travers le temps. S.L’H.