Le football apprend l’humilité à ses suiveurs et à ses acteurs. Cette CAN l’a encore démontré quand tant d’observateurs voyaient dans l’écroulement des Eléphants, ces derniers temps, la fin d’une ambition légitime de succéder à la génération 92. Quand tant de gens dépeignaient la Guinée équatoriale comme une dictature incapable d’organiser en deux mois une compétition de cette ampleur. Voilà les leçons, pas seulement sportives, que j’ai tirées de cette CAN.
- Hervé Renard est un entraîneur à part
On ne remporte pas deux CAN avec deux pays différents en trois ans en claquant des doigts. On ne réussit pas un tel parcours avec Sochaux, même terminé sur une descente en L2, par la grâce d’une chemise blanche, d’un corps de statue grecque et d’un sourire de pubs pour dentifrice. Hervé Renard a réussi à changer le visage des Eléphants en injectant, sans la moindre crainte, des jeunes peu expérimentés, en changeant son système de jeu en pleine compétition, en insufflant à ses hommes lors de la séance de tirs au but cette idée que le ciel leur appartenait. Tout est résumé : compétence technique et impact psychologique. Ce deuxième succès sur le continent consacre le parcours d’un garçon parti de très loin et qui n’a jamais oublié ses années de galére, ses années où il se levait à trois heures du matin pour faire tourner sa société de nettoyage d’immeubles. Il cite sans cesse Claude Le Roy, son mentor, Patrice Beaumelle, son indispensable adjoint, et son staff comme un rappel qu’on n’y arrive jamais seul. Il faut voir son comportement en public : je ne l’ai jamais vu refuser une sollicitation, même la veille de la finale lors de son traditionnel Capucino dégusté dans un hôtel de Bata. Il était seul. J’étais venu envoyer des papiers d’avant finale avec Farid Achache, l’un de mes amis de RFI. Pendant une demi-heure, entrecoupée par la prise d’une trentaine de photos…, nous avons disserté sur son parcours. Nous avions la sensation, déjà, qu’il se passerait quelque chose le lendemain… La larme n’est d’ailleurs jamais loin chez lui, même en conférence de presse, quand il se retourne sur son passé ou évoque ses joueurs… A 46 ans, Renard a l’ambition de découvrir la Ligue des champions et je ne comprendrais pas qu’un club ne tente pas de l’enrôler. Il ne s’agit plus d’un pari mais d’un choix réfléchi. Kolo Touré me disait souvent qu’il avait le profil idéal pour l’Angleterre, un charisme, une manière se comporter qui plairait en Premier League. Croire aujourd’hui qu’il ne serait qu’un entraîneur pour l’Afrique serait une grave erreur de dirigeants. N’oublions pas ce qu’on disait d’Arsène Wenger quand il est arrivé en Angleterre après son séjour au Japon : Arsène Who ? Ce même Arsène qui avait choisi Renard comme entraîneur de l’année 2012 dans France-Football après la sacre de la Zambie…
2. Kolo Touré et Serey Dié, rois des Eléphants
L’élimination lors du premier tour -à la dernière seconde- en Coupe du monde semblait sceller le destin d’une génération dorée, celle des Académiciens et de Didier Drogba. L’idole avait choisi de se retirer, en dépit de l’insistance de Renard, comme Didier Zokora, autre immense personnage de cette époque. Mais Kolo Touré, lui, n’a jamais voulu partir. Sa carrière est un hymne à la volonté, au travail. Salomon Kalou m’a souvent répété comment Kolo les réveillait le matin, lui et Yaya, pour bosser leurs gammes avant l’école dans leur cocon de l’ASEC. « Et il revenait nous voir l’après-midi pour qu’on s’entraîne, » ajoutait-il. Kolo n’était pas le plus doué, pas le plus brillant mais assurément le plus acharné. Il n’avait pas accepté d’être évincé du onze type de la sélection lors de la CAN 2013 par Sabri Lamouchi, avait bossé dans son coin avec un préparateur physique pour être prêt avec Liverpool. Quand Renard l’a rappelé, il a répondu présent. Sans état d’âme. Il est, à mes yeux, l’élément clé de ce succès en Coupe d’Afrique. Sa présence sur le terrain, dans une défense totalement remaniée, et son impact en dehors ont été indispensables dans ce groupe de fortes personnalités pas toujours faciles à manier. D’autres ont eu des rôles prépondérants, et je pense évidemment à Copa Barry, autre ancien, énorme dans la séance de tirs au but. D’une frappe et de deux arrêts formidables, ce garçon, apprécié de tous, a effacé des années de critiques très souvent injustes. Deux jours avant la finale, nous avions discuté dans le hall de l’hôtel et je lui avais dit qu’il aurait un rôle prépondérant contre le Ghana mais je l’imaginais sur le banc évidemment. « J’ai bien intégré ma place de remplaçant », m’avait-il alors assuré en s’imaginant en premier supporter de Gbohouo. C’est finalement en héros qu’il est revenu à Abidjan. Je ne peux parler de ces pachydermes sans pointer le rôle de Serey Dié, la pile électrique. Il a étouffé ses adversaires, imprimé un rythme rare à la récupération sous une température parfois caniculaire, Yaya étant moins à l’aise dans ce rôle. Il n’est pas le plus connu, pas le plus technique, parfois excessif dans son engagement mais Serey Dié est un joueur de devoir. Les départs annoncés de Kolo et Serey Dié vont laisser un vide chez les Eléphants.
- La CAF n’est pas responsable de tout…
J’ai évidemment regardé de très près les réseaux sociaux et les critiques qui se sont déversées sur la CAF après l’arbitrage entre la Tunisie et la Guinée Equatoriale. Donc Issa Hayatou, en tant que président, tenait à remercier le pays de l’avoir sauvé du refus marocain de dernière minute d’organiser son épreuve phare … Des erreurs d’arbitrage, pourtant fréquentes, en Ligue 1 n’entraînent pas des suspicions sur le rôle de Frédéric Thiriez. Même si on ne prête qu’aux riches, les raccourcis, en Afrique, sont des mauvaises habitudes. Il en est du sport comme de la politique d’ailleurs où les amalgames, très nombreux, évitent un travail de fond. Mon but n’est pas de défendre la CAF mais de refuser un tir de barrage ridicule, sans preuve. On peut s’indigner devant la volonté d’Hayatou de s’écrire une constitution sur mesure en vue d’un renouvellement de son mandat, on peut critiquer le fonctionnement de cette institution sur des points précis mais voir la main du boss camerounais sur chaque décision est une méconnaissance de son organisation. En revenant de Bata, les membres de la CAF étaient d’ailleurs les premiers énervés par l’arbitrage. Ils savaient qu’à cet instant, cette CAN, partie sur d’excellentes bases, perdait au vu de l’extérieur (et même de l’intérieur…) beaucoup de son crédit. L’arbitre s’est totalement planté comme celui de la demi-finale entre le Ghana et la Guinée Equatoriale qui semblait ne pas vouloir siffler en faveur de la GE. Le choix d’un Gabonais dans un contexte local particulier (régional et sportif avec élimination des Panthères par le pays hôte) était certainement trop peu réfléchi… La CAF a des défauts, Hayatou s’accroche à un pouvoir qu’il devrait laisser pour obtenir, par exemple, un rôle de président d’honneur qui lui conviendrait mieux mais ses dirigeants ont sauvé leur CAN en deux mois. Ce n’était pas évident et c’est aussi une victoire.
4. La Guinée équatoriale, loin des caricatures…
A mes yeux, la Guinée équatoriale représentait la Corée du Nord de l’Afrique. Pourtant peu habitué à avaler les écrits de la presse en général sur le continent, j’ai quand même été pris au piège de la caricature. C’est d’ailleurs la première fois en neuf CAN que je reçois avant de partir un message d’une organisation non gouvernementale (HRW) pour égratigner le régime en place. En avais-je besoin tant ce pays accumule les critiques en tout genre notamment en France avec l’affaire des biens mal acquis ? Heureusement, une CAN permet de s’ouvrir, de regarder, de parler et d’écouter. Je revois ce vieil homme dans un taxi me dire : « Excusez-moi, je n’ai rien contre les blancs mais avant c’était vraiment une dictature sous les Espagnols. Aujourd’hui, on voit enfin la lumière… » Il n’avait rien d’un idéologue. C’est une conversation parmi des centaines mais assez marquantes quant au ton et au personnage. Si on connaît les dérives du pouvoir, souvent rapportées (donc inutile d’en rajouter ici), on connaît moins les avancements de ce pays et notamment son développement. Chaque journaliste africain a été frappé par les constructions (logements sociaux), par les infrastructures (électricité, eau, routes..), et l’entretien de certains sites comme les stades de Bata et de Malabo, aussi neufs qu’en 2012. Il reste énormément de travail et notamment en matière d’éducation. Beaucoup de bourses sont d’ailleurs délivrées à des équato-guinéens pour étudier et apprendre un métier en Espagne, aux Etats-Unis, en France. Le boulot sera encore long mais cette CAN a permis à la Guinée équatoriale de montrer un autre visage que celui dépeint sans cesse, de casser certains clichés. Tout n’est pas parfait, loin de là…, mais pour une terre qui revient de très loin, des efforts sautent aux yeux. Le pétrole n’a pas seulement servi à un enrichissement personnel (même s’il a servi à ça aussi). Comme me disait un ami journaliste camerounais : « Je suis venu ici pour la première fois en 1987, tu ne peux même pas imaginer comment c’était ! Le changement est invraisemblable. » Ils étaient nombreux parmi les confères du continent à espérer chez eux de telles améliorations…
HERVE PENOT (@hpenot_lequipe)