Mes leçons de la CAN

COPABARRY

 

 

Le football apprend l’humilité à ses suiveurs et à ses acteurs. Cette CAN l’a encore démontré quand tant d’observateurs voyaient dans l’écroulement des Eléphants, ces derniers temps, la fin d’une ambition légitime de succéder à la génération 92. Quand tant de gens dépeignaient la Guinée équatoriale comme une dictature incapable d’organiser en deux mois une compétition de cette ampleur. Voilà les leçons, pas seulement sportives, que j’ai tirées de cette CAN.

  1. Hervé Renard est un entraîneur à part

On ne remporte pas deux CAN avec deux pays différents en trois ans en claquant des doigts. On ne réussit pas un tel parcours avec Sochaux, même terminé sur une descente en L2, par la grâce d’une chemise blanche, d’un corps de statue grecque et d’un sourire de pubs pour dentifrice. Hervé Renard a réussi à changer le visage des Eléphants en injectant, sans la moindre crainte, des jeunes peu expérimentés, en changeant son système de jeu en pleine compétition, en insufflant à ses hommes lors de la séance de tirs au but cette idée que le ciel leur appartenait. Tout est résumé : compétence technique et impact psychologique. Ce deuxième succès sur le continent consacre le parcours d’un garçon parti de très loin et qui n’a jamais oublié ses années de galére, ses années où il se levait à trois heures du matin pour faire tourner sa société de nettoyage d’immeubles. Il cite sans cesse Claude Le Roy, son mentor, Patrice Beaumelle, son indispensable adjoint, et son staff comme un rappel qu’on n’y arrive jamais seul. Il faut voir son comportement en public : je ne l’ai jamais vu refuser une sollicitation, même la veille de la finale lors de son traditionnel Capucino dégusté dans un hôtel de Bata. Il était seul. J’étais venu envoyer des papiers d’avant finale avec Farid Achache, l’un de mes amis de RFI. Pendant une demi-heure, entrecoupée par la prise d’une trentaine de photos…, nous avons disserté sur son parcours. Nous avions la sensation, déjà, qu’il se passerait quelque chose le lendemain… La larme n’est d’ailleurs jamais loin chez lui, même en conférence de presse, quand il se retourne sur son passé ou évoque ses joueurs… A 46 ans, Renard a l’ambition de découvrir la Ligue des champions et je ne comprendrais pas qu’un club ne tente pas de l’enrôler. Il ne s’agit plus d’un pari mais d’un choix réfléchi. Kolo Touré me disait souvent qu’il avait le profil idéal pour l’Angleterre, un charisme, une manière se comporter qui plairait en Premier League. Croire aujourd’hui qu’il ne serait qu’un entraîneur pour l’Afrique serait une grave erreur de dirigeants. N’oublions pas ce qu’on disait d’Arsène Wenger quand il est arrivé en Angleterre après son séjour au Japon  : Arsène Who ? Ce même Arsène qui avait choisi Renard comme entraîneur de l’année 2012 dans France-Football après la sacre de la Zambie…

2. Kolo Touré et Serey Dié, rois des Eléphants

L’élimination lors du premier tour -à la dernière seconde- en Coupe du monde semblait sceller le destin d’une génération dorée, celle des Académiciens et de Didier Drogba. L’idole avait choisi de se retirer, en dépit de l’insistance de Renard, comme Didier Zokora, autre immense personnage de cette époque. Mais Kolo Touré, lui, n’a jamais voulu partir. Sa carrière est un hymne à la volonté, au travail. Salomon Kalou m’a souvent répété comment Kolo les réveillait le matin, lui et Yaya, pour bosser leurs gammes avant l’école dans leur cocon de l’ASEC. « Et il revenait nous voir l’après-midi pour qu’on s’entraîne,  » ajoutait-il. Kolo n’était pas le plus doué, pas le plus brillant mais assurément le plus acharné. Il n’avait pas accepté d’être évincé du onze type de la sélection lors de la CAN 2013 par Sabri Lamouchi, avait bossé dans son coin avec un préparateur physique pour être prêt avec Liverpool. Quand Renard l’a rappelé, il a répondu présent. Sans état d’âme. Il est, à mes yeux, l’élément clé de ce succès en Coupe d’Afrique. Sa présence sur le terrain, dans une défense totalement remaniée, et son impact en dehors ont été indispensables dans ce groupe de fortes personnalités pas toujours faciles à manier. D’autres ont eu des rôles prépondérants, et je pense évidemment à Copa Barry, autre ancien, énorme dans la séance de tirs au but. D’une frappe et de deux arrêts formidables, ce garçon, apprécié de tous, a effacé des années de critiques très souvent injustes. Deux jours avant la finale, nous avions discuté dans le hall de l’hôtel et je lui avais dit qu’il aurait un rôle prépondérant contre le Ghana mais je l’imaginais sur le banc évidemment. « J’ai bien intégré ma place de remplaçant », m’avait-il alors assuré en s’imaginant en premier supporter de Gbohouo. C’est finalement en héros qu’il est revenu à Abidjan. Je ne peux parler de ces pachydermes sans pointer le rôle de Serey Dié, la pile électrique. Il a étouffé ses adversaires, imprimé un rythme rare à la récupération sous une température parfois caniculaire, Yaya étant moins à l’aise dans ce rôle. Il n’est pas le plus connu, pas le plus technique, parfois excessif dans son engagement mais Serey Dié est un joueur de devoir. Les départs annoncés de Kolo et Serey Dié vont laisser un vide chez les Eléphants.

    1. La CAF n’est pas responsable de tout…

J’ai évidemment regardé de très près les réseaux sociaux et les critiques qui se sont déversées sur la CAF après l’arbitrage entre la Tunisie et la Guinée Equatoriale. Donc Issa Hayatou, en tant que président, tenait à remercier le pays de l’avoir sauvé du refus marocain de dernière minute d’organiser son épreuve phare … Des erreurs d’arbitrage, pourtant fréquentes, en Ligue 1 n’entraînent pas des suspicions sur le rôle de Frédéric Thiriez. Même si on ne prête qu’aux riches, les raccourcis, en Afrique, sont des mauvaises habitudes. Il en est du sport comme de la politique d’ailleurs où les amalgames, très nombreux, évitent un travail de fond. Mon but n’est pas de défendre la CAF mais de refuser un tir de barrage ridicule, sans preuve. On peut s’indigner devant la volonté d’Hayatou de s’écrire une constitution sur mesure en vue d’un renouvellement de son mandat, on peut critiquer le fonctionnement de cette institution sur des points précis mais voir la main du boss camerounais sur chaque décision est une méconnaissance de son organisation. En revenant de Bata, les membres de la CAF étaient d’ailleurs les premiers énervés par l’arbitrage. Ils savaient qu’à cet instant, cette CAN, partie sur d’excellentes bases, perdait au vu de l’extérieur (et même de l’intérieur…) beaucoup de son crédit. L’arbitre s’est totalement planté comme celui de la demi-finale entre le Ghana et la Guinée Equatoriale qui semblait ne pas vouloir siffler en faveur de la GE. Le choix d’un Gabonais dans un contexte local particulier (régional et sportif avec élimination des Panthères par le pays hôte) était certainement trop peu réfléchi… La CAF a des défauts, Hayatou s’accroche à un pouvoir qu’il devrait laisser pour obtenir, par exemple, un rôle de président d’honneur qui lui conviendrait mieux mais ses dirigeants ont sauvé leur CAN en deux mois. Ce n’était pas évident et c’est aussi une victoire.

4. La Guinée équatoriale, loin des caricatures…

A mes yeux, la Guinée équatoriale représentait la Corée du Nord de l’Afrique. Pourtant peu habitué à avaler les écrits de la presse en général sur le continent, j’ai quand même été pris au piège de la caricature. C’est d’ailleurs la première fois en neuf CAN que je reçois avant de partir un message d’une organisation non gouvernementale (HRW) pour égratigner le régime en place. En avais-je besoin tant ce pays accumule les critiques en tout genre notamment en France avec l’affaire des biens mal acquis ? Heureusement, une CAN permet de s’ouvrir, de regarder, de parler et d’écouter. Je revois ce vieil homme dans un taxi me dire : « Excusez-moi, je n’ai rien contre les blancs mais avant c’était vraiment une dictature sous les Espagnols. Aujourd’hui, on voit enfin la lumière…  » Il n’avait rien d’un idéologue. C’est une conversation parmi des centaines mais assez marquantes quant au ton et au personnage. Si on connaît les dérives du pouvoir, souvent rapportées (donc inutile d’en rajouter ici), on connaît moins les avancements de ce pays et notamment son développement. Chaque journaliste africain a été frappé par les constructions (logements sociaux), par les infrastructures (électricité, eau, routes..), et l’entretien de certains sites comme les stades de Bata et de Malabo, aussi neufs qu’en 2012. Il reste énormément de travail et notamment en matière d’éducation. Beaucoup de bourses sont d’ailleurs délivrées à des équato-guinéens pour étudier et apprendre un métier en Espagne, aux Etats-Unis, en France. Le boulot sera encore long mais cette CAN a permis à la Guinée équatoriale de montrer un autre visage que celui dépeint sans cesse, de casser certains clichés. Tout n’est pas parfait, loin de là…, mais pour une terre qui revient de très loin, des efforts sautent aux yeux. Le pétrole n’a pas seulement servi à un enrichissement personnel (même s’il a servi à ça aussi). Comme me disait un ami journaliste camerounais : « Je suis venu ici pour la première fois en 1987, tu ne peux même pas imaginer comment c’était ! Le changement est invraisemblable.  » Ils étaient nombreux parmi les confères du continent à espérer chez eux de telles améliorations…

HERVE PENOT (@hpenot_lequipe)

 

Pourquoi l’Algérie ?

algerie       Le football algérien reflète à sa manière un pan de la société française et il est capital de comprendre les ressorts qui poussent les binationaux à choisir leurs pays d’origine pour cerner les difficultés ressenties par des enfants, nés souvent ici, dans la construction nationale. Bien sûr, cette politique du retour n’existerait pas sans l’attrait d’une équipe nationale qui compte depuis la qualification en Coupe du monde en 2010. Au départ était Mohamed Raouraoua, le président de la fédération visionnaire : il a parfaitement intégré la force qu’il pourrait tirer des joueurs nés ou formés à l’étranger. Dès 2003, il s’est mis en tête de modifier le règlement mondial en matière de binationaux : ce n’était pas gagné d’avance dans le contexte d’alors où les Africains ne possédaient pas un réel poids dans les décisions. A cette époque, un joueur était interdit de changer de nationalité sportive après ses seize ans. Ce membre de la FIFA, proche d’Issa Hayatou, le président de la CAF, commence dans l’ombre une campagne pour le changement. Il parle notamment à Michel Platini de ses résolutions mais il faut attendre 2009 pour voir l’âge amené enfin à 21 ans. La barrière tombée, Raouaraoua se bat pour attirer les futures pépites, en démarchant les familles, en vendant un projet ambitieux. Il sait que certains jeunes ressentent une forme de mal-être dans leur peau de fils d’immigrés algériens comme le résume parfaitement Sofiane Feghouli dans un excellent entretien avec Bilel Ghazi que vous pouvez (et devez) voir sur l’equipe.fr. Lire ce qu’il dit, et ne pas le balayer d’un revers de main, est capital pour saisir les interrogations des gamins des centres de formation. Certains se sentent incompris dans un milieu pas si ouvert que ça, à leurs yeux, sur l’extérieur, sur leur différence et ils semblent aussi marqués par l’histoire complexe qui lie les deux pays. L’ancien Grenoblois, première prise symbolique, a pour conséquence d’ouvrir les portes : Faouzi Ghoulam, Yacine Brahimi, Nabil Bentaleb, Riyad Mahrez, Aissa Mandi etc… le rejoignent. Il serait même surprenant que Nabil Fekir, la pépite lyonnaise, ne prenne pas un aller simple vers Alger… Ou Balhouli dans la foulée. Le critère des résultats n’est pas anodin. A l’époque d’une EN atone, ce choix aurait été inattendu mais les perf’ récentes, notamment en Coupe du monde (défaite en 8e de finale contre l’Allemagne, 1-2, a.p.) et la passion dévorante du peuple ont modifié des perceptions : ces espoirs peuvent à la fois assouvir leur amour du ballon et leur sentiment d’appartenance à la patrie de leurs parents où ils se sentent parfois plus respectés, plus attendus, plus compris et moins rejetés. Beaucoup de jeunes ont, en plus, l’impression (à tort ou à raison mais ce n’est pas le problème) d’être stigmatisés en tant que musulman dans notre société. Ce ne sont pas les seuls dans ce cas. Le port du tee-shirt (jesuisCharlie), que certains ont refusé et d’autres accepté avec réticence, ne démontrent surtout pas qu’ils n’ont pas été ébranlé ou choqué par ces tristes événements. Comme le résumait Demba Ba, franco-sénégalais né à Sèvres, dans le Canal football club. Il était scandalisé par les événements mais refusait de porter cette inscription. Cette différence notable de perception, que l’on saisit sur une Coupe d’Afrique des nations en raison des origines, des cultures et des passés nationaux différents, n’empêche pas l’existence de valeurs communes. Le football en est le parfait exemple. Il peut être un lien intéressant si on sait s’en servir pour rassembler, non pour diviser. Pour s’ouvrir, non pour se fermer. Et si lui aussi se trouvait à un carrefour ? J’entendais Lilian Thuram dans J plus 1 évoquer son rôle fédérateur, lui qui se bat depuis si longtemps contre les rejets. Je vous conseille d’ailleurs le très bon livre « Dieu football club »  de Nicolas Villas qui raconte le poids de toutes les croyances dans le football. Il le fait sans aucune forme de jugement. Il y a aussi beaucoup de leçons à en tirer… HERVE PENOT

La Guinée équatoriale et alors ?

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La semaine dernière, dans l’Equipe du soir, nous avons eu une sympathique passe d’armes sur le choix de la Guinée équatoriale comme hôte de la prochaine CAN. Mon ami Erik Bielderman a mis en avant le côté non démocratique du pouvoir pour s’insurger contre cette décision : ma réponse, opposée, ne m’a pas totalement satisfait et je vais profiter de ce blog pour tenter d’être plus précis, plus profond, moins caricatural. Qu’ai-je dit ? Que la démocratie avait bon dos quand elle s’habille de magnifiques sentiments pour saccager un pays, la Libye en l’occurrence, l’un des plus florissants du continent, terre d’une large immigration subsaharienne et pourvoyeur des fins de mois de voisins à l’agonie financière. L’argument a fait bondir et je n’en veux pas à mes interlocuteurs. Leur idée : comment mettre sur un pied d’égalité un dictateur et une démocratie, comment oser placer la France ou les Etats-Unis au même niveau que Kadhafi ou Teodoro Obiang Nguema et ses 35 années de pouvoir ? Tout dépend, en fait, de l’endroit où vous vous situez… Il n’est pas certain qu’un Libyen admire aujourd’hui le siècle des lumières et la démocratie à la française…

J’écoutais Michel Serres, le passionnant philosophe français qui vient de publier «  Yeux  », s’interroger sur le regard du monde suivant que l’on soit un homme ou un animal. Il en est des pays comme des hommes ou des animaux.

Ce blog a souvent été le lieu de dénoncer l’ethnocentrisme ambiant. Et le football est un parfait vecteur d’analyse.

Deux visions largement antagonistes s’affrontent, ici, l’une venue du Nord, occidentalisée, souvent donneuse de leçons quand ça l’arrange, et une autre, venue d’en bas, inaudible chez nous. Je pense que la plupart des Africains ou des gens d’origine africaine qui me lisent m’approuveront et qu’une partie des autres ne saisiront pas totalement mon message (Vos réponses, que j’attends, me donneront, en tout cas, des indications). Normal, ils ont été biberonnés à une information pervertie par des médias qui suivent trop souvent une ligne officielle et empêche toute mise en perspective. Je n’oublie pas le titre d’un quotidien français après la mort de Kadhafi : Libye an 1. Personne ne s’est intéressé à ce que pensaient les plus grands intellectuels africains, terriblement virulents, scandalisés par cette expédition. Leur avis ne comptait pas, trop africain sans doute… Ils ne défendaient pas le Guide, ils défendaient une idée de la planète très éloignée de la nôtre. La destruction de la Libye a entraîné, de facto, outre la fragilisation de la région, la délocalisation de la CAN 2013 puis 2017. In fine, elle a entraîné la quête de territoires d’accueils dont la Guinée équatoriale. « Mais on ne se pose pas la question de savoir à qui on donne d’autres compétitions internationales, avec l’Afrique c’est toujours différent, » m’a dit Issa Hayatou, le président de la CAF quand je lui ai parlé du CV d’Obiang.

Il a raison même si les dirigeants locaux sont aussi en partie responsable de cette situation borgne. Personne n’évoque le manque de démocratie au Qatar quand ce royaume gazier organise le Doha Goals, par exemple. Comprendre un pays, c’est le respirer, le sentir, le connaître. Ce n’est pas facile vu d’ailleurs où on plaque souvent des tonnes d’idées reçues liées à des appréciations déformées. Et qui s’avèrent totalement fausses au regard d’événements récents. Le souffle de la rue et de la jeunesse burkinabé est finalement bien plus fort que l’amour des chancelleries pour Blaise Compaoré. La CAN 2004 en Tunisie n’a pas empêché le vent de la révolution d’emporter le régime de Ben Ali. La politique et le sport restent intiment torsadés sur le continent comme le rappelle la décision du sénat nigérian de se conformer aux desiderata de la FIFA pour s’éviter une longue suspension. Le choix de la Guinée équatoriale se défend donc sans aucun souci. Car la morale devrait être appliquée de la même manière partout. Et ce n’est pas souvent le cas…

 

HERVE PENOT (@hpenot_lequipe)

 

Sagnol, la leçon à retenir

 

La nouvelle polémique sur le footballeur africain -comme on parlerait de l’homme africain pas encore entré dans l’histoire-, n’est pas née de l’enregistrement caché d’une conversation de la DTN sur la fameuse histoire des quotas. Elle n’émane pas non plus d’un théoricien de salon (Fienkelkraut), d’un «  penseur  » de cours d’école calfeutré dans ses certitudes vieille France ironisant sur la couleur black-black-black de l’équipe de France. Non, les propos de Willy Sagnol, lors d’un face à face avec les lecteurs du journal Sud-Ouest, sont d’un autre calibre, bien plus profonds tant ils résument, à leur manière, les rapports Nord-sud dans le foot.

Avant de prendre position, j’ai d’abord écouté l’enregistrement de cette longue conversation. C’était nécessaire pour me donner une idée du contexte, comprendre de possibles dérapages parfois conditionnés par des questions tendancieuses. D’abord, il faut lever toute ambiguïté sur un premier sujet : sa volonté de recruter à l’avenir moins d’Africains. Sagnol a l’honnêteté de dire ce que la plupart des entraîneurs pense. Et ce que les joueurs eux-mêmes savent mieux que quiconque. Combien d’entre eux ont accepté des transferts en mettant de côté leur sélection ? Les ténors du barreau comme Didier Drogba ou Samuel Eto’o n’ont pas connu ce genre de soucis mais certains compatriotes ont découvert que des portes se fermeraient sur leurs ambitions personnelles s’ils n’acceptaient pas de se placer en retrait de la République. Après tout, Sagnol est comptable des résultats de son club. Il n’y a donc pas de controverse à mes yeux dans cette sortie, ni de caractère sectaire ou discriminatoire.

La suite est malheureusement moins glorieuse pour l’ancien international…

En résumé, les Africains seraient plus physiques mais moins intelligents, moins techniques, moins disciplinés si j’ai bien saisi le raisonnement. Mais peut-être que je n’ai pas tout compris… S’est-il vraiment rendu compte de la portée de ses mots alors qu’il n’a pas voulu les préciser, hier, ou même les commenter ? Sagnol aurait du exprimer des regrets sur un raccourci dangereux. Pour participer souvent à des émissions télé, il m’arrive de réduire mes raisonnements et de me sentir éloigné de mes aspirations premières. Je ne connais pas spécialement Sagnol et je ne veux pas m’ériger en procureur. J’en connais qui porteront ce costume mieux que moi. Mais en refusant de revenir sur le fond (c’est ce qui m’intéresse), il a laissé le champs libre à toutes les interprétations. Et c’est là le plus surprenant : comment ne voit-il pas dans son raccourci saisissant un grave dérapage ? Les termes employés (l’Africain, en gros, c’est du pas cher et costaud…) ont assurément de quoi heurter au regard de notre passé colonial et de la montée en puissance des extrémismes. L’enfermement de l’être humain dans sa couleur de peau ne peut que blesser les gens visés.

Sagnol pourrait demander leurs avis à certains de ses anciens camarades venus du continent qui ne possèdent, entre parenthèse, pas tous les mêmes caractéristiques physiques… Makélélé n’est pas Desailly, il me semble. En 2014, les stéréotypes restent bien ancrés dans ce sport : il n’est pas le seul à entretenir ces thèses sans se rendre compte de l’effet dévastateur que cela entraîne. Le sport symbole d’ouverture ou de partage ? On en est loin et Sagnol ne doit pas devenir le mouton du sacrifice. Cette polémique peut lui servir peut-être à revisiter notre histoire commune. Il comprendra alors pourquoi ses propos ont suscité autant de réactions, parfois haineuses. Pourquoi ils ne pouvaient que choquer. Je ne compte plus les personnes qui m’ont interpellé sur Twitter. Sagnol ne doit pas s’enfermer dans sa tour d’Ivoire et refuser d’entendre ces critiques. Tenez, il pourra même demander à Hervé Renard si ses Zambiens vainqueurs de la CAN 2012 étaient des monstres athlétiques ou des techniciens filiformes. Pour rappel, l’Afrique n’est pas une et indivisible. Sagnol parle d’ailleurs du joueur africain et du joueur nordique comme si on pouvait affiner les analyses sur les Européens, pas sur les Africains. Il faudra rappeler à Sagnol que l’Africain du Nord n’a aucun rapport physique, même pigmentaire, avec celui du Sud. Que les Ethiopiens ou les Kenyans sont rarement considérés comme des monstres de puissance physique… Mais ces réflexes de langage ne témoignent pas toujours, même s’ils le peuvent, d’un fond raciste. Ils sont plus l’émanation du niveau moyen des conversations entendues dans notre monde du ballon. Ils traduisent surtout la méconnaissance, la présence de clichés dangereux qu’il faut absolument combattre. C’était aussi le sens de mon blog. J’ai beaucoup écrit ici sur cet ethnocentrisme européen qui ne s’arrête pas au terrain d’ailleurs…

A Sagnol d’y réfléchir. Il y a des sujets sur lesquels on ne doit laisser aucune place à interprétation. Et si cette polémique peut l’aider à s’éloigner des préjugés qu’il a renforcé par des propos inadmissibles…

 

HERVE PENOT (@hpenot_lequipe)

 

 

La CAF a raison

 

 

Je n’ai pas toujours été tendre avec la CAF dans mes écrits depuis de nombreuses années donc on ne pourra m’accuser d’une quelconque complicité avec les instances dirigeantes. Mais la décision de maintenir en l’état la Coupe d’Afrique des nations au mois de janvier-février est d’une logique implacable. Les arguments avancés correspondent d’ailleurs à ceux que j’exposais dans un article sur le sujet dans ce blog.

D’entrée, le timing du Maroc s’est avéré déconcertant : on ne pouvait pas demander le report sans véritable discussion préalable la veille d’une journée de matches éliminatoires. En prenant une posture sévère jugée plus proche des Européens, qui avaient alors placé Ebola à la une de leurs journaux à cause d’un cas en Espagne et d’un autre aux Etats-Unis, que des Africains de l’ouest, qui vivent avec ce virus depuis près d’un an, il y avait un décalage d’analyse (et de vision) entre les décideurs marocains et ceux de la CAF qui ne pouvait que se percuter.

Depuis le début, les dirigeants continentaux ont pris en compte tous les dangers de cette épidémie, en délocalisant les matches de la Sierra Leone et de la Guinée, en s’appuyant sur les décisions de l’OMS. Issa Hayatou, qui s’est toujours conformé aux directives, n’a jamais eu l’intention de prendre le moindre risque avec sa compétition phare. Pour les critiques, que j’ai entendues, qui évoquaient sa volonté de ne pas toucher à sa vache à lait, une réponse s’impose : le déplacement en juin aurait-il nui à sa médiatisation (et donc à son impact financier) ? Certainement pas.

Certains remplaçants potentiels peuvent maintenant lever le doigt. L’Afrique du Sud a déjà décliné l’offre. Le président de la République du Ghana a dit lui aussi que si le Maroc refusait, cela pouvait poser un problème. Mais ce n’était pas un niet clair… Quid de l’Egypte (même si depuis le drame de Port Said, les rencontres se déroulent quasiment toutes à huis clos) qui rêve d’une CAN en 2017 mais pourrait trouver sur sa route l’Algérie… Ou du Nigeria dont l’un des ministres a déjà indiqué qu’il pouvait y réfléchir. Comme les CAN ont été attribuées jusqu’en 2021, on peut aussi imaginer certains évoquer en interne la probabilité d’une organisation comme le Gabon par exemple mais ce dernier espère obtenir l’épreuve en 2017. Le Maroc, au poids conséquent en Afrique, saura aussi faire pression diplomatiquement sur de possibles concurrents…

En fait, j’ai du mal à imaginer, sans aucune information concrète d’ailleurs…, le Maroc, qui tomberait sous le coup de lourdes sanctions sportives (pays et clubs réunis), se désister. Depuis sa demande de report, le virus ne s’est pas propagé quand des cassandres annonçaient 10000 cas hebdomadaire -soit presque le chiffre donné depuis le début de l’épidémie…-. Que les autorités politiques locales prennent en compte la sécurité de leurs concitoyens est tout à leur honneur mais dans les conditions actuelles pourquoi reporter cette CAN ? La raison pourrait finalement l’emporter, les Marocains accepter cette décision tout en renforçant leurs mesures sanitaires. Et ce pays hospitalier – la preuve puisque la Guinée y dispute ses rencontres- ne perdrait pas la face. Les politiques se sont peut-être simplement précipités dans le sillage des médias occidentaux. Mais ils pourraient montrer en janvier pourquoi le Maroc est un candidat désigné pour l’organisation d’une Coupe du monde. Loin des peurs et de la psychose trop souvent entretenues…

HERVE PENOT (@hpenot_lequipe)