En 1984, Lech Walesa est une icône.
Surgi de nulle part, cet ouvrier des chantiers navals de Gdansk aux modestes
racines paysannes a inspiré une révolution ouvrière qui a mis à genoux le monstre
du communisme. Les hommes d’Etat parlent de lui à Washington, Moscou et Pékin.
Il a démontré le pouvoir de la foi religieuse et a rencontré, en privé, le pape
Jean-Paul II. La forme de sa moustache est à la mode. Le logo rouge sang de sa
fédération du syndicat Solidarnosc est imprimé sur des tee-shirts vendus à
Paris, Tokyo et Los Angeles. Des magazines occidentaux l’ont couronné “homme de
l’année”. Le groupe de rock U2 lui a dédié une chanson. Il a joué son propre
rôle dans un film du plus grand réalisateur polonais, Andrzej Wajda. Il a même
remporté le prix Nobel de la paix. Son combat pour la liberté lui a valu une
peine de onze mois de prison. Mais une fois libéré, il n’a pas joué le jeu du
régime, qui avait tenté cyniquement de lui faire prendre part à la dictature. A
la place, il a repris son ancienne vie, avec ses enfants et sa femme, son Eglise et son modeste travail. C’est un homme ordinaire et pourtant
extraordinaire. Il est le sel de la terre et il a changé le monde.Les gays doivent s’asseoir “plus près du mur”
Cette même année, dans son petit
appartement de Gdansk, Walesa accueille avec une bouteille de champagne un
invité surprenant : la pop star (aujourd’hui anoblie) revendiquant sa
bisexualité et défendant les droits des homosexuels, Elton John. Vingt ans plus
tard, la réputation de Walesa, autrefois inattaquable en dehors de la Pologne,
est en ruine à la suite de ses déclarations au sujet des gays. “Ils doivent être conscients qu’ils constituent une minorité et qu’ils
doivent être plus modestes. Ils ne peuvent pas atteindre les sommets, connaître
les plus grandes heures et se livrer aux pires provocations en gâchant tout et
en nuisant à la majorité”, déclare-t-il lors d’une récente interview
télévisée. Selon lui, les gays ne doivent avoir le droit de siéger au premier
rang des bancs parlementaires et, s’ils viennent à être représentés, ils
devraient s’asseoir “plus près du mur du fond,
voire derrière le mur”.
“Une
minorité ne devrait pas imposer son point de vue à la majorité”,
souligne-t-il. “Je ne veux pas que cette
minorité, avec laquelle je suis en désaccord mais que je tolère et comprends,
défile dans les rues et donne des idées à mes enfants et à mes petits-enfants.”
Bien que la Pologne baigne dans la
tradition catholique, elle traverse un changement social spectaculaire qui
semble avoir laissé Walesa au XXe siècle. Des célébrités qui
revendiquent leur homosexualité passent chaque jour à la télévision, chaque
grande ville a ses discothèques gays. En 2010, la Pologne a été le premier
pays d’Europe de l’Est à accueillir l’Europride (pendant les jours suivant la
Gay Pride européenne, des couples gays se promenaient main dans la main dans
le centre de Varsovie). En 2011, les Polonais ont élu, pour la première
fois, un député ouvertement gay, Robert Biedron, auparavant militant des droits
des homosexuels. Lors des mêmes élections, la Pologne est devenue le premier
pays dans l’histoire européenne à élire une députée transsexuelle, Anna Grodzka
(anciennement Krzysztof Begowski). Walesa a prononcé les commentaires ci-dessus
peu après le rejet du projet de loi sur la création d’une union civile [pour
les couples homosexuels et hétérosexuels].“J’ai dit avec respect à mon père qu’il
avait eu tort de dire cela”, affirme Jaroslaw Walesa, le fils de Lech.Ces remarques n’auraient pas attiré
l’attention dans la Pologne plus conservatrice des années 1990. Mais ces
jours-ci, les réactions des personnalités publiques polonaises sont immédiates
et sévères. Walesa “déshonore le prix
Nobel”, déclare Monika Olejnik, une des plus importantes journalistes
polonaises. Un groupe de pression a déposé une plainte dans la ville natale de
Walesa, Gdansk, pour “incitation à la
haine contre une minorité sexuelle”. Biedron, le ministre homosexuel, se
demande : “Si nous acceptons les règles
proposées par Lech Walesa, où les Noirs devront-ils s’asseoir ? Ils
représentent aussi une minorité.” [Les Polonais ont élu deux députés nés
en Afrique et issus de la communauté noire composée de seulement 5 000
individus.] Une enquête d’opinion montre qu’une majorité de Polonais s’oppose
aux idées de Walesa. Au Parlement, dans un acte de défi sans équivoque, des
députés assis au premier rang ont laissé leur place à Grodzka et à Biedron.
L’un des huit enfants de Walesa,
Jaroslaw, est député au Parlement européen à Bruxelles. Lors d’une interview
accordée au site d’information américain Newsweek,
il déclare avoir eu une longue conversation avec son père le 9 mars : “J’ai dit avec respect à mon père qu’il
avait eu tort de dire cela. Nous ne sommes pas d’accord sur ce sujet.”
A présent, la controverse est
mondiale et, partout dans le monde, des gens demandent des excuses
publiques. Mais Walesa s’obstine : “Je ne
présenterai d’excuses à personne”, déclare-t-il lors d’une interview citée
par CNN. “Tout ce que j’ai dit, c’est que
les minorités, que je respecte, ne devraient pas avoir le droit d’imposer leur
vision des choses à la majorité. Je pense que la plupart des Polonais me
soutiennent.” Il a également affirmé qu’il ne se considérait pas comme “homophobe”.

Fondé en 1933, ce vénérable magazine d’actualité généraliste a vu sa diffusion chuter en l’espace de dix ans. En 2010, la directrice de l’époque, Tina Brown, tenta de relancer le titre et de prendre le virage numérique, en fusionnant avec le webzine The Daily Beast. Le 31 décembre 2012, Newsweek publia d’ailleurs son dernier numéro papier. Ces changements n’ayant pas suffi à redresser le magazine, il a été racheté en août 2013 par le groupe IBT Media, dirigé par l’homme d’affaires français Étienne Uzac, installé aux États-Unis. Une version imprimée du magazine a finalement été relancée en mars 2014. Outre l’édition américaine, Newsweek publie chaque semaine une édition en langue anglaise pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, et une autre à destination de l’Asie. Il existe également des éditions en espagnol, en japonais, en coréen, en polonais et en serbe.