Malgré la gravité des accusations, la nouvelle a eu peu d'échos en Amérique latine. Les médias péruviens ont peu repris l'information, et les deux principaux quotidiens argentins, El Clarin et La Nación, n'y ont pas consacré une ligne de brève pour l'instant. «Omertà» latine? En fait, les révélations de David Yallop ne font qu'étayer des soupçons et accusations émis depuis plusieurs années. «Il y a de fortes évidences quant à l'utilisation de drogue par les Argentins, argumente-t-il par exemple. Pour éviter sa détection, les prélèvements d'urine étaient livrés au docteur via le porteur d'eau de l'équipe.» Or, le dopage argentin tient du secret de Polichinelle, connu mais jamais prouvé. En 1998, dans les colonnes d'«El Comercio», le Péruvien Jaime Duarte, l'un des joueurs du match catastrophe, révélait déjà que «les Argentins avaient les yeux exorbités. Quand je me heurtais à Oscar Ortiz, avec qui j'avais souvent joué, il ne me reconnaissait pas.»
Par ailleurs, lorsque Yallop met en doute la probité de l'entraîneur en évoquant des choix de remplaçants inexpérimentés, il fait écho à une vieille controverse sur le choix en cours de partie de Roberto Rojas, «un type qui n'avait jamais joué en équipe nationale», comme le rappelait, vingt ans après, son coéquipier Ramon Quiroga dans une interview à La Nación. Ce dernier, surnommé «le fou», amenait déjà de l'eau au moulin de la thèse des pots-de-vin: «Les milieux de terrain n'arrêtaient personne pendant le match. Sur le but de Tarantini, Manzo (ndlr, l'un des milieux de terrain) se baisse et le laisse aller au but. Gorriti (ndlr, un autre Péruvien) offre un autre but.»
Les nombreuses et vieilles rumeurs de corruption flirtent parfois avec la limite du hors-jeu, comme celle, évoquée par un journaliste argentin, selon laquelle seuls les Noirs de l'équipe auraient été payés. Mais elles ne font pas des Argentins les seuls méchants de l'affaire. Le Brésil, qui pouvait se qualifier si les Péruviens ne perdaient qu'avec trois buts de différence, leur aurait ainsi proposé une prime de 5000 dollars pour éliminer l'Argentine. «Quelqu'un nous a raconté qu'il y aurait des terrains à Rio si le Brésil se qualifiait, mais personne ne m'a parlé de 5000 dollars», précise Quiroga dans la même interview, sur laquelle il est ensuite revenu dans des circonstances controversées, trop tard pour calmer les soupçons.
Pour couronner l'histoire, le sort s'est acharné sur les responsables, volontaires ou non, de la trop mémorable déroute. L'entraîneur Marcos Calderon est mort dans un accident, de même que l'inexpérimenté remplaçant Roberto Rojas. Et pour certains joueurs, comme Quiroga, ces coups du sort sont des preuves plus frappantes que toutes les enquêtes de journalistes anglais.