L'intellect agent personnel
dans les premiers écrits d'Albert le Grand et de Thomas d'Aquin
Dans une étude déjà ancienne, mais toujours actuelle par l'intérêt de la question soulevée, M. E. Gilson, se plaçant surtout au point de vue de la doctrine de l'illumination, situe fort bien le problème de l'originalité de saint Thomas (1). Il compare l'attitude du Docteur angélique sur ce point avec celle de ses contemporains et prédécesseurs et il conclut que le maître dominicain apparaît comme étant le premier à rompre ouvertement avec la tradition augustinienne, en assignant à chaque individu humain un intellect agent et en excluant toute illumination pour la connaissance d'ordre naturel. Cependant M. Gilson laisse en suspens divers points. Ainsi, il n'a pas pu déterminer si cette attitude de saint Thomas, dans toute sa netteté radicale, date du début de sa carrière ou non (p. 113). Mais surtout M. Gilson a délibérément laissé de côté saint Albert, inclinant à penser qu'il ne fut pas le grand novateur. Mais n'ayant pas la documentation nécessaire pour fonder cette opinion, M. Gilson reconnaît lui-même que « cette affirmation reste dénuée de valeur tant qu'elle ne s'accompagne pas de ses preuves » (p. 121).
Les pages qu'on va lire offrent un essai de solution de ces deux lacunes dans l'histoire du thomisme. Elles voudraient répondre aux questions suivantes : Thomas a-t-il trouvé chez son maître Albert le Grand, la théorie de l'intellect agent personnel, principe suffisant d'explication de notre activité intellectuelle au plan naturel ? A-t-il lui-même professé cette doctrine dès le début de sa carrière ?
(l) E. GlLSON, Pourquoi saint Thomas a critiqué saint Augustin, Archives d'histoire doctrinale et littéraire du moyen âge, I, 1926, pp. 5-127.