cinéma

Pourquoi il faut voir (et aimer) Miséricorde, nommé 8 fois aux César 2025

Alors que les César 2025 l'ont généreusement nommé, retour sur le charme opaque du dernier film d’Alain Guiraudie, Miséricorde, avec son acteur principal nommé pour la meilleure révélation masculine de l’année, Félix Kysyl.
Misricorde
© Les Films du Losange

“La morale n’est légitime qu’à la première personne. La morale ne vaut que pour soi ; pour les autres, la miséricorde et le droit suffisent” écrivait André Comte-Sponville. Une formule qui pourrait servir d'incipit au dernier film en date d'Alain Guiraudie, Miséricorde. Ou l’histoire d’un jeune homme, Jérémie (excellent Félix Kysyl) qui revient dans le village de l’Aveyron qui l’a vu grandir, Saint-Martial, pour enterrer un homme qui a compté pour lui, son ancien patron boulanger. À l’enterrement, il retrouve la veuve de celui-ci, Martine, incarnée par Catherine Frot, et son fils Vincent (toujours formidable Jean-Baptiste Durand). Alors qu’il ne devait être que de passage, il s’incruste chez la veuve, au grand dam de Vincent, et cherche à renouer contact avec une vieille connaissance (David Ayala, nommé dans la catégorie meilleur acteur dans un second rôle) tout en esquivant un abbé certes bienveillant mais un poil collant (Jacques Develay, également nommé dans la catégorie meilleur acteur dans un second rôle, on vote pour!).

Félix Kysyl, révélation inattendue

Montée des désirs refoulés, calfeutrage d’une violence qui peine à se contenir, jalousie primaire, cachotteries et rumeurs, habitations qu’on croirait seulement habitées de fantômes… Ce retour aux sources, que l’on devine peu saines, va tourner au vinaigre, et, dans ce décorum forestier peuplé de champignons, Jérémie va semer le chaos… sans en avoir l’air. Ce qui fait toute la force de son personnage, comme nous l’explique Félix Kysyl, en lice pour la statuette de la Révélation masculine aux César : “J'avais beaucoup de questions que j'ai posées à Alain Guiraudie… et il ne voulait pas trop me répondre ! Ce qui m’a apporté énormément de liberté. Je me suis amusé à donner des attitudes très différentes à ce personnage, car il n’est pas le même selon qu’il s’adresse à Martine, à Vincent ou à Walter. Ce qui ne fait que creuser son insaisissabilité”. Difficile, en effet, de comprendre ce que Jérémie a derrière la tête, et pourtant on s’y attache, au fil d’un scénario drôlement bien troussé où le polar tutoie la comédie : “Dès la lecture du script, les mystères étaient présents, avec autant de trous demandant à être comblés par l’imagination. C’était très déroutant, mais aussi sensationnel”.

Des sensations, il nous en reste un certain nombre après avoir vu Miséricorde, dont on admire la beauté de l’image, assurée par la directrice de la photographie Claire Mathon (logiquement nommée au César, elle aussi) sublimant chaque paysage. On a été oppressé, intrigué, séduit, amusé, le temps d’un étrange récit d’apprentissage où les frontières entre innocence et culpabilité sont poreuses, où chacun tait ses secrets sans pour autant se cacher complètement.

Une moralité opaque

Une ambivalence qui sert la moralité opaque de Miséricorde, dont le titre seul en dit long, comme le rappelle Félix Kysyl : “C'est un terme qui était très abstrait pour moi, parce qu’un peu vieillot, connoté religieusement, pas vraiment en phase avec ma génération et nos modes de vie. Mais dans ce film-là, il s’agit de pardon, dans un sens absolu, d’une absence de jugement, qui efface la moralité sociale préétablie. Le talent de l'écriture de Miséricorde et de la manière dont elle est filmée, c’est de ne jamais se placer au-dessus de ses personnages”. Parmi lesquels Jérémie : “J'avais le sentiment qu’il avait un immense besoin d'amour, au-delà de toute conscience. Comme une espèce de mal issu des tragédies grecques, une fatalité des dieux. Car il se laisse guider par ce qui lui arrive en étant aussi aimanté par ceux qui l’entourent”.

Ainsi, certains jugeront provocantes certaines scènes (notamment celles entre le prêtre et Jérémie, “redoutables” d’après Kysyl) devant lesquelles on s’esclaffe, épatés de l’insolence tranquille d’Alain Guiraudie. Qui, après les mémorables Rester vertical ou L’Inconnu du Lac, dévoile une part plus mélancolique de son cinéma. Auquel Félix Kysyl, qui incarnera bientôt Jean Moulin dans le diptyque d’Antonin Baudry consacré à De Gaulle, est heureux d’appartenir. “C’était mon premier rôle principal, et jouer quelque chose de si complexe avec tant de bonheur, d'appétit… Je suis dans un état de rêve” nous confie-t-il.

D’ailleurs, qu’est-ce qui est vrai dans le récit brossé par Miséricorde ? On n’en sait rien, mais qu’importe. Ici, Alain Guiraudie démontre brillamment qu’être cinéaste, ce n’est pas (seulement) raconter de jolies histoires à la signalétique ultra lisible. Au contraire, c’est, tout en lui offrant des images mémorables, risquer de perdre le spectateur, afin de mieux le retrouver.

MISÉRICORDE" UN FILM DE ALAIN GUIRAUDIE AVEC CATHERINE FROT (MARTINE); JACQUES DEVELAY (L'ABBÉ GRISOLLES); FÉLIX KYSYL (JÉRÉMIE); DAVID AYALA (WALTER); JEAN-BAPTISTE DURAND (VINCENT); PRODUCTION CG CINÉMA: CHARLES GILLIBERT; ROMAIN BLONDEAU; NINA PORETZKY; TALIZALANGLOIS; NORA REMAL; COLINE LALAUT; IMAGES CLAIRE MATHON; SON VASCO PIMENTEL 2023XAVIER LAMBOIURS

Miséricorde, d’Alain Guiraudie est nommé pour les César 2025 dans les catégories du meilleur film, de la meilleure réalisation, du meilleur scénario, de la meilleure photographie, de la meilleure révélation masculine, de la meilleure actrice dans un second rôle et du meilleur acteur dans un second rôle.

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