Revue des sciences religieuses 71 n° 4 (1997), p. 442-457
SAINT THOMAS D'AQUIN, MAÃTRE DE VIE SPIRITUELLE
II est difficile à un auteur de parler de son livre (*) sans parler de lui-même. Cela est vrai de manière générale, mais c'est encore plus vrai de « Saint Thomas d'Aquin maître spirituel ». Après l'avoir lu, un collègue me disait qu'on m'y sentait engagé beaucoup plus personnellement que dans le premier volume Initiation à saint Thomas d'Aquin. à cette remarque je n'ai pu que souscrire ; ce livre est un essai de réponse à une question qui s'est imposée à moi dès mon noviciat : l'exercice de l'intelligence peut-il avoir une certaine utilité pour la vie religieuse ? De façon plus précise peut-être et plus large à la fois : la pratique de la théologie peut-elle servir à la sainteté du théologien ? Cette question personnelle -je l'ai découvert plus tard -, me faisait retrouver le propos de saint Thomas lui-même dans sa défense des ordres religieux face aux Maîtres séculiers du xme siècle. Pour le dire avec les mots de Guillaume de Tocco, son biographe, il s'agissait de montrer qu'on pouvait faire son salut dans un ordre tout entier consacré au studium contemplationis.
Le titre que vous connaissez, Saint Thomas maître spirituel, n'est pas celui auquel j'avais initialement pensé. Partiellement inexact et trop ambitieux à mon goût, il a été choisi pour des raisons commerciales ; j'aurais préféré Thèmes spirituels qui répondait mieux à mon propos. Dans l'idée que la spiritualité n'est pas quelque chose de surajouté à la théologie - comme jadis les corollaires pieux des manuels -, mais qu'elle est bien une dimension interne à la théologie, qui jaillit de sa pratique même, je voulais en effet approfondir quelques intuitions caractéristiques de saint Thomas. En rappeler d'abord la pure et simple teneur théologique, bien sûr, mais de façon à montrer ensuite leurs prolongements spirituels. Naturellement, il n'était pas possible de parler de ces thèmes sans évoquer la vision d'ensemble de la construction thomasienne, mais je n'ai pas cherché à reconstruire, plus ou moins facticement, une théologie spirituelle que Thomas lui-même ne nous a pas laissée. C'est en ce sens que « Maître spirituel » est un peu trop fort pour caractériser ce que je voulais faire, mais il reste vrai
(*) J.-P. Torrell, S. Thomas d'Aquin, maître spirituel, Fribourg. Paris, Cerf. Ãd. Universitaires, 1996.