Femmes à l'Académie française

La présence de femmes à l'Académie française est récente. L'Académie, fondée en 1635 par le cardinal de Richelieu ne voit entrer une femme dans ses murs qu'en 1980, avec l'écrivaine Marguerite Yourcenar[1]. Si pendant ces 345 années, divers motifs politiques, moraux, religieux et sociétaux ont été invoqués pour en interdire l'accès aux femmes, plusieurs candidatures ont néanmoins été proposées au cours des décennies précédentes. Onze femmes ont, depuis 1980, été élues académiciennes ; six y siègent actuellement.
Une conquête tardive
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Sous l'Ancien Régime, les femmes ne peuvent entrer dans des assemblées élues que si le règlement les y autorise (certaines assemblées permettent leur présence[N 1]).
Jean de La Bruyère, académicien depuis , serait le premier à évoquer l'acceptation d'une candidature féminine au sein de la Compagnie. Il aurait, en effet, dit aux académiciens qu'il donnerait son suffrage et soutiendrait Anne Dacier, épouse de l'académicien André Dacier, « si vous admettiez parmi vous des personnes de son sexe »[2].
Jean le Rond d'Alembert, académicien depuis , propose en , afin de promouvoir la candidature de Julie de Lespinasse, de réserver 4 des 40 sièges aux femmes[3]. La tentative échoue. Des années plus tard, l'Académie propose à Félicité de Genlis de l'accueillir, mais elle doit pour cela arrêter l'écriture d'un manifeste hostile aux Encyclopédistes ; elle refuse[3].
Le , Jules Barbey d'Aurevilly publie un article dans le journal Le Gaulois, un brocard à charge contre l'Académie française intitulé « L’Académie sans candidats », dans lequel il écrit : « Il est vrai que les gens d’esprit lui manquant, il lui restera les imbécilles pour candidats, à l’Académie, et si les imbécilles eux-mêmes vieilcastelisés ne voulaient plus mordre à la grappe de l’Académie, elle aurait, en dernier désespoir, les femmes, qui déjà la guignent avec convoitise »… Combien de bas-bleus pour faire la monnaie du moindre des candidats ?... Et de terminer par une attaque politique directe : « Pauvre Académie ! Tombée en quenouille, enjupponnée, finie, morte sur pied, faute de candidats ! C’est triste, mais ce serait gai, n’est-ce pas ? si l’autre république, comme celle-ci, discréditée, dépopularisée, sous l'use du mépris public, allait périr aussi, faute de candidats[4],[5] ! »
La candidature de la féministe Pauline Savari est refusée par l'Académie, le . Et le duc d'Aumale de déclarer : « Les femmes ne sont pas éligibles, puisqu’on n’est citoyen français que lorsqu’on a satisfait à la conscription[3]. »
La question d'une candidature féminine au sein de l'Institut de France, dont fait partie l'Académie française, s'est posée violemment avec celle de Marie Curie en à l'Académie des sciences[6]. « L'Assemblée générale de l'Institut, consultée, se déclara hostile aux candidatures féminines au nom de « traditions immuables ». Le professeur Esmein publia de son côté, dans le Journal des Débats, un article sur « l'inégibilié des femmes à l'Institut » qui concluait : « C'est une règle générale et certaine de droit public français que les femmes ne sont pas capables des fonctions publiques. Pour les leur interdire, un texte n'est pas nécessaire ; il en faut un, au contraire, pour leur en ouvrir exceptionnellement l'accès[7]. » »
Ce n'est qu'en 1980, sous la pression de l'opinion et à la suite du militantisme de Jean d'Ormesson qu'une femme est élue en la personne de Marguerite Yourcenar[8]. Jusque-là, de nombreux académiciens s'opposaient à l'entrée de femmes, comme Claude Lévi-Strauss ou Georges Dumézil. L'historien Pierre Gaxotte déclara même : « Si on élisait une femme, on finirait par élire un nègre[9]… »
Hélène Carrère d'Encausse est secrétaire perpétuel de l'Académie de 1999 à 2023.
Les femmes membres de l’Académie
[modifier | modifier le code]Année | Nom | Qualité | Fauteuil | Prédécesseur | Successeur |
---|---|---|---|---|---|
1980-1987 | Marguerite Yourcenar | Écrivaine | no 3 | Roger Caillois | Jean-Denis Bredin |
1988-2010 | Jacqueline de Romilly | Helléniste | no 7 | André Roussin | Jules Hoffmann |
1990-2023 | Hélène Carrère d'Encausse | Historienne | no 14 | Jean Mistler | - |
Depuis 2000 | Florence Delay | Écrivaine | no 10 | Jean Guitton | - |
2005-2015 | Assia Djebar | Écrivaine | no 5 | Georges Vedel | Andreï Makine |
2008-2017 | Simone Veil | Femme politique | no 13 | Pierre Messmer | Maurizio Serra |
Depuis 2011 | Danièle Sallenave | Écrivaine | no 30 | Maurice Druon | - |
Depuis 2013 | Dominique Bona | Écrivaine | no 33 | Michel Mohrt | - |
Depuis 2018 | Barbara Cassin | Philosophe | no 36 | Philippe Beaussant | - |
Depuis 2021 | Chantal Thomas | Écrivaine | no 12 | Jean d'Ormesson | - |
Depuis 2023 | Sylviane Agacinski | Écrivaine, philosophe | no 19 | Jean-Loup Dabadie | - |
Les candidatures malheureuses
[modifier | modifier le code]Les femmes et l'habit d'académicien
[modifier | modifier le code]Habit vert
[modifier | modifier le code]L'habit vert que les académiciens revêtent, avec le bicorne, la cape et l’épée, lors des séances solennelles sous la Coupole, a été dessiné sous le Consulat, dessin attribué au peintre Jean-Baptiste Isabey. Il est commun à tous les membres de l’Institut de France, mais n'a pas été prévu pour les femmes. Marguerite Yourcenar refuse de l'endosser, mais toutes les autres académiciennes le portent lors de leur cérémonie de réception, à l'exception d'Assia Djebar, reçue en 2006.
Épée ou substitut
[modifier | modifier le code]Les femmes et les ecclésiastiques sont dispensés du port de l'épée[28].
Hélène Carrère d'Encausse, Florence Delay, Assia Djebar, Simone Veil, Danièle Sallenave, Dominique Bona et Barbara Cassin ont cependant choisi d'en porter une lors de leur réception[28].
Marguerite Yourcenar, élue en , qui n'a pas voulu porter l'habit vert, a reçu du comité de l'épée constitué de proches un aureus de l'empereur Hadrien, transformé en pendentif[29].
Jacqueline de Romilly, élue en , a reçu une broche symbolique après son élection à l'Académie des inscriptions et Belles-Lettres en 1975, et a préféré remplacer l'épée par un sac à main[28].
Hélène Carrère d'Encausse, élue en , la première femme à porter l'épée, a choisi une arme créée pour l'occasion par l'orfèvre géorgien Goudji.
L'épée de Barbara Cassin, élue en , qui est en cuir végétal pour être non létale, est « connectée »[30].
Chantal Thomas, élue en , a préféré porter un éventail japonais du théâtre nô, à la place de l'épée[31].
Citations
[modifier | modifier le code]- Maurice Druon, secrétaire perpétuel lors de l'élection de Marguerite Yourcenar en , aurait dit : « C'est la porte ouverte aux calamités. D'ici peu, vous aurez quarante bonnes femmes qui tricoteront pendant les séances du dictionnaire »[32].
- En 1980, l'historien Pierre Gaxotte va jusqu'à affirmer : « Si on élisait une femme, on finirait par élire un nègre... »[33].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- ↑ C'est le cas, par exemple, d'Élisabeth Vigée Le Brun à l'Académie royale de peinture et de sculpture en 1783, jusqu'à la Révolution.
- ↑ « Dans la première quinzaine d'octobre, deux nouvelles candidatures avaient été déclarées au fauteuil de Jérôme Carcopino ; celles d'Henri Queffélec et d'une journaliste du Figaro, remarquable par l'état de transe voluptueuse où la mettait la personne de Charles de Gaulle. Comme elle était la première femme à se présenter à l'Académie, la presse en fit grand cas. La candidature de Mme Parturier étant également son meilleur titre à être connue, certains prétendirent qu'elle s'offrait à peu de frais une publicité en forme de canular. » in Jacques Isorni, La Fièvre verte, Flammarion, , p. 186.
- ↑ « La seule certitude était que cela se jouerait à une ou deux voix. C'est là que cette candidature farfelue de Françoise Parturier devenait ennuyeuse. Elle en aurait une, deux peut-être. À qui les prendra-t-elle ? » in Jacques Isorni, La Fièvre verte, Flammarion, , p. 190.
- ↑ Jacques Isorni, ironiquement vis-à-vis de Jean Mistler dont la voix a été promise à plusieurs candidats, écrit : « Depuis cette confidence, je me demande si l'unique voix de Françoise Parturier n'a pas été celle de Jean Mistler. » in Jacques Isorni, La Fièvre verte, Flammarion, , p. 192.
Références
[modifier | modifier le code]- ↑ Véronique Laroche-Signorile, « Il y a 40 ans, Marguerite Yourcenar devenait Immortelle », Le Figaro, (lire en ligne
, consulté le ).
- ↑ René de La Croix de Castries (préf. Jean Mistler), La Vieille Dame du Quai Conti : Une histoire de l'Académie française, Nouvelle édition mise à jour, , p. 178.
- « Candidates », academie-francaise.fr.
- ↑ Thierry Bodin et Philippe de Flers, L'Académie au fil des lettres, Gallimard, , p. 234-241.
- ↑ « BARBEY D’AUREVILLY Jules (1808-1889).— MANUSCRIT autographe signé « J. Barbey d’Aurevilly », L’Académie sans candidats, [1873] ; 3 pages in-fol. aux encres brune, rouge et verte, découpées pour composition et remontées sur onglets... », sur Bibliorare (consulté le ).
- ↑ Étienne Ghys, « L’Académie des sciences, l’Institut, et les femmes, en 1911 », sur Vie des sciences, (consulté le ).
- ↑ François Fossier, Au pays des Immortels, Fayard-Mazarine, , p. 58-59.
- ↑ « Quand Jean d'Ormesson faisait entrer la première femme à l'Académie française », sur leparisien.fr, .
- ↑ Michel Feltin-Palas, « L'Académie française se résout à la féminisation », lexpress.fr, 19 février 2019.
- ↑ « Mme Françoise Parturier se présente à l'Académie française », sur Le Monde, (consulté le ).
- « Françoise Parturier. La cause des femmes », sur Le Monde, (consulté le ).
- ↑ Contre 20 à Léopold Sédar Senghor.
- ↑ Contre 15 à Angelo Rinaldi ; « Élection de M. Angelo Rinaldi (F20) », academie-francaise.fr, 21 juin 2001.
- ↑ Contre 21 à François Cheng ; « Élection de M. François Cheng (F34) », academie-francaise.fr, 13 juin 2002.
- Contre 19 à Alain Robbe-Grillet [1]
- ↑ « Élection au fauteuil de M. Henri Troyat (F28) », academie-francaise.fr, 7 février 2008.
- ↑ « Élection blanche au fauteuil de M. Bertrand Poirot-Delpech (F39) », academie-francaise.fr, 18 octobre 2007.
- ↑ Contre 12 à François Weyergans « Élection de M. François Weyergans (F32) », academie-francaise.fr, 26 mars 2009.
- ↑ « Candidatures au fauteuil de M. Maurice Druon (F30) », sur academie-francaise.fr, (consulté le ).
- ↑ « Élection blanche au fauteuil de M. Pierre-Jean Rémy (F40) », academie-francaise.fr, 26 avril 2012.
- Contre 15 à Xavier Darcos ; « Élection de M. Xavier Darcos (F40) », academie-francaise.fr, 13 juin 2013.
- ↑ « Élection blanche au fauteuil de M. Jean Dutourd (F31) », academie-francaise.fr, 10 mai 2012.
- « Élection blanche au fauteuil de M. Pierre-Jean Rémy (F40) », academie-francaise.fr, 24 janvier 2013.
- ↑ Contre 13 à Dany Laferrière ; « Élection de M. Dany Laferrière (F2) », academie-francaise.fr, 12 décembre 2013.
- ↑ « Élection blanche au fauteuil de M. René Girard (F37) », academie-francaise.fr, 17 novembre 2016.
- ↑ « Élection de Mme Barbara Cassin (F36) », sur academie-francaise.fr, (consulté le ).
- ↑ « Retraits de candidature au fauteuil de M. Valéry Giscard d’Estaing (F16) », sur academie-francaise.fr, (consulté le ).
- « L’habit vert et l’épée », sur academie-francaise.fr (consulté le ).
- ↑ Gérard H. Goutierre, « Pas d’épée ni de bicorne pour Madame de Crayencour », sur lessoireesdeparis.com, (consulté le ).
- ↑ « L’habit vert et l’épée | Académie française », sur www.academie-francaise.fr (consulté le ).
- ↑ « Biographie de Chantal Thomas », sur academie-francaise.fr (consulté le ).
- ↑ Matthieu Galey, Journal, 1974-1986, Grasset, .
- ↑ « Académie française : mais où sont les femmes ? », sur Institut national de l'audiovisuel (consulté le ).