Everest

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Partir tôt, d’accord, mais pour aller où ? Stuart Lancaster était prêt, ses joueurs d’aplomb, ses choix multiples. L’Angleterre organisait alors forcément, ce serait mieux que partout ailleurs. C’est vrai qu’elle est fluide, cette Coupe du monde, les bénévoles souriants, le process huilé, mis à part la circulation autour et vers Twickenham. Rien de grave, on partira à pied de Richmond. La vue des berges de la Tamise peintes par William Turner est plaisante.

On apprécie aussi  que le président Nelson Mandela soit entré samedi dans le Hall of Fame de la World Rugby. Annonce effectuée à Newcastle par le président Lapasset, et François Pienaar au soutien. C’est bien pour l’ex-IRB d’avoir un peu de vernis mais Madiba appartient à un panthéon bien plus relevé en compagnie du Mahatma Gandhi et de Martin Luther King, pour ne choisir que deux de ses coéquipiers. Chris Robshaw, lui, ne risque pas d’y faire ne serait-ce qu’une apparition. Pour le capitaine anglais, ce sera plutôt le Hall of Shame.

Se réjouir ou pas ? Tendre la main en lançant «Sorry, good game» ? Se dire qu’un peu d’humilité ne fait pas de mal à ceux qui ne perdent jamais à ce jeu mais parfois ne gagnent pas ?  L’Australie et le Pays de Galles, enjoués, ont bien mérité d’un quart de finale. L’Angleterre n’est pas le monde quand bien même elle l’a dominé, souveraine sur les vagues, et lui a donné sa langue à partager. Au fond du buzz on claquerait bien Sir Clive pour avoir dit que «les Australiens ne sont pas les plus malins» et ce petit prick de Cipriani qui considére qu’ «aucun Australien n’a sa place dans le XV d’Angleterre.» Ils ont raison : l’Australien est doué de ce que les musiciens appellent le rubato et aucun n’a sa place dans l’équipe rose parce qu’elle n’est pas assez bonne.

Le diffuseur, qui choisit quelle petite nation doit se coltiner trois matches en dix jours afin de préserver les affiches de ses prime-time, va perdre 1,5 millions d’euros à chaque retransmission désormais, et l’économie anglaise quelque chose comme 3 milliards de livres sterling à la louche dans les pubs, les restaurants et les centres commerciaux. L’argent va au succès, les factures au fiasco.

Mon copain Jason Leonard étrenne dans la douleur ses galons de président de la RFU, Stuart Lancaster aura du mal à retrouver du boulot sur le terrain et Chris Robshaw une place à l’aile de la prochaine troisième-ligne anglaise. Allez chercher de l’eau à la fontaine : rien ne sert de courir trop tôt à point au risque de partir prématurément.

Jeudi dernier, pour se changer les idées, Stuart Lancaster est allé voir Everest au cinéma. Il a vraiment la scoumoune, lui… L’histoire d’une expédition qui part pour atteindre le sommet le plus élevé du monde mais dont les premiers de cordée meurent à l’aller et au retour. Par orgueil, mauvais choix, aveuglement, frustration, prétention, négligence, fatigue… Pas sûr qu’il achètera la version Blu Ray, Stuart.

La note bleue

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La BBC n’a pas montré une seule image de la victoire du XV de France, 41-18, sur le Canada, jeudi soir. Pas assez glamour, rien de couleur locale. Il n’y en a que pour l’Angleterre en plein doute, le Pays de Galles dans l’ivresse et des Fidjiens retrouvés au meilleur de leur flair en gagnant aussi – formés au Premiership, Super Rugby et Top 14 – l’impact en mêlée. Que ces damnés Froggies se baladent avec trois victoires en autant de matches quand les sujets de sa Gracieuse sont au bord de quitter leur Mondial par la porte du garage fait grincer des incisives du côté de Richmond.

Cinq essais, le bonus offensif donc, face aux Canadiens ? Mission presque remplie. Philippe Saint-André avait promis un huitième de finale officieux pour décrocher la première place de cette poule D afin d’éviter les All Blacks en quart à Cardiff. Ce sera le cas. Il avait annoncé des Tricolores en pleine bourre pour l’échéance mondiale : là aussi, c’est confirmé ; les Tricolores enchaînent crescendo. Le Goret souhaitait enfin un banc de remplaçants capables de faire une différence : c’est le cas.

Hier vilipendé pour avoir oublié François Trinh-Duc, il a placé sa confiance en Frédéric Michalak ; comme ouvreur, leader, animateur, buteur. Le Toulonnais lui a rendu au centuple, devenant même le meilleur réalisateur français en Coupe du monde. Ce qui fera peut-être de lui, comme Thierry Lacroix à qui il succède, un commentateur avisé lors de l’édition 2019. Le carnet de route fonctionne à la lettre. H comme les poteaux de Milton Keynes entre lesquels Michalak a tout fait passer, jeudi soir.

Passons à la lettre I. Comme interrogations. Pourquoi deux gros trous d’air, un durant chaque mi-temps ? Et comment peut-on laisser un adversaire modeste bien que courageux et déterminé inscrire deux essais en quatre minutes, puis deux buts de pénalité en début de seconde période et passer de 0-17 à 18-24 ? Absences coupables qui se paieront beaucoup plus cher, dimanche 11 octobre. I comme Irlande donc. Qui va affronter l’Italie le 4 octobre. Les Transalpins, vexés par leur parcours minable, font de ce match leur finale à eux. Ont-ils les moyens de faire se cabrer l’Erin ?

Dans cette pièce de théâtre aristotélicien, unité de lieu, de temps et d’action, l’acte II s’est ouvert sur Galles-Fidji de toute beauté. Il se poursuivra avec Afrique du sud-Ecosse, Angleterre-Australie, Samoa-Ecosse, Argentine-Tonga, Irlande-Italie, Australie-Galles et France-Irlande. Onze jours et sept matches pour savoir de quoi sera fait l’acte III, quelles surprises il nous réserve. En attendant de sentir le sol trembler samedi à Twickenham.

Ecoutons la note bleue. Elle s’accorderait presque au projet. Mais  trop de couacs et de coups foirés, d’occasions anéanties, de déchets, des vices minuscules mais qui mis bout à bout laissent une impression d’inachevé. Jeudi, à Milton Keynes, il y avait tout pour battre le record de points des Australiens face à l’Uruguay, dépasser le 65 au compteur. Si la France semble avoir de la suite dans les idées, son jeu manque de continuité, son sérieux de constance, son engagement de rigueur. Il faut juste espérer qu’une semaine pour rassembler ce qui est épars sera assez. Cela dit, si vous voulez mon avis et si non je vous le donne quand même : il vaut mieux affronter la Nouvelle-Zélande en quart que les Argentins.

L’épreuve du jeu

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Une équipe, à de rares exceptions, ne fonctionne pas en autonomie. Ou alors pas longtemps. Pendant trois semaines, tout au plus. Et pour des événements particuliers. Comme le phase finale du Championnat, en ce qui concerne le Stade Français. Et encore Bernard Laporte, alors sélectionneur du XV de France, venait-il donner en cachette quelques conseils à ses anciens joueurs. Ou la phase finale de la Coupe du monde, version 1999 et 2011 pour les Tricolores. L’homme-clé, très souvent, s’avère être l’entraîneur.

En 1990, Bob Dwyer avait demandé à ses joueurs de sabrer le champagne à un an jour pour jour, heure pour heure, de leur sacre mondial, arguant que tout avait été préparé en amont, calibré, pensé, organisé. Et qu’il n’y avait plus qu’à gagner les matches. En 1991, l’Australie devenait pour la première fois championne du monde. J’avais suivi leur aventure depuis 1988 et le succès aussie à Strasbourg. Dwyer avait établi des relations de bonne intelligence avec ses joueurs, dans la plus grande sérénité. Et une bonne dose d’humour.

Après deux semaines de Coupe du monde 2015, le Pays de Galles, le Japon, l’Afrique du sud et l’Australie nous rappellent l’importance du coach, du manager, du technicien. Comment fonctionnent-ils, ces grands entraîneurs, Warren Gatland, Eddie Jones, Heyneke Meyer, Michael Cheika ? Avec quel leviers parviennent-ils à entraîner leurs joueurs ?

En traînant dans la salle de presse du Villa Park de Birmingham, samedi, j’ai retrouvé trois vieilles connaissances : George Gregan, François Pienaar et Sean Fitzpatrick. Nous avons longuement échangé autour d’un sandwich au fromage et d’un café transparent. Pienaar avouait à quel point il aimait cette équipe de France qui débarquait de nulle part et allait surprendre tout le monde ; à quel point il aimerait en être le capitaine. Il sentait, intuitivement, que les joueurs Français n’attendaient qu’une étincelle pour s’enflammer. Il aurait aimé leur transmettre. Ses yeux pétillaient en disant cela.

Il nous raconta comment, lorsque Kitch Christie, son entraîneur avec le Transvaal et les Springboks, subissait une chimiothérapie, s’était créé un lien unique entre eux. Une lien de confiance absolue. Quelque chose qui n’avait pas de mots pour être traduit. Pienaar et Christie échangeaient brièvement sur la tactique. Les grandes lignes, les tendances, quelques innovations. Christie pensait que la clé appartenait aux joueurs. Pienaar reconnaissait que ce lien entre le coach et lui était à part. Difficilement transposable dans un autre contexte.

Gregan, Fitzpatrick et Pienaar se rejoignaient sur un point : en poule A, Angleterre, Australie et Pays de Galles allaient perdre une fois chacun lorsqu’ils s’affronteraient. Et que les bonus feraient la différence. On verra samedi soir s’ils ont raison, les anciens champions du monde. En attendant, écouter leurs avis éclairés, les anecdotes qu’ils échangeaient, leurs regards sur tel ou tel joueur, comme par exemple sur Louis Picamoles, dont ils assurent qu’il sera l’une des révélations de ce Mondial, fut un de ces moments magiques que nous réserve souvent la Coupe du monde et que je voulais partager avec vous.

Eddie Jones, Warren Gatland, Heyneke Meyer et Michael Cheika ont aussi des choses en commun. Ils croient en leur système de jeu. Il faut entendre Eddie Jones raconter comment il a expliqué aux Japonais la façon dont ils battraient les Springboks, à Brighton. Puis Heyneke Meyer assurer à ses joueurs que s’ils suivaient son plan ils vaincraient sans difficulté les Samoans à Birmingham. Warren Gatland, lui, après avoir compté les blessés et rappelé en catimini quelques internationaux hors groupe pour assurer l’opposition lors de la dernière séance tactique collective de terrain avant d’affronter l’Angleterre, sut insuffler assez d’énergie à son équipe, alors décimée, pour arracher une victoire époustouflante à Twickenham.

Reste Michael Cheika. Lui, il ne dit rien. Il bosse dans son coin. Seul coach au monde à avoir remporté la Coupe d’Europe et le Super Rugby, il reconstruit doucement mais sûrement une équipe wallaby traumatisée, désunie, orpheline. Samedi, il saura enfin s’il a bien travaillé. Avant cela, jeudi, à Milton Keynes, le XV de France passera lui aussi sa première vraie épreuve du jeu. Nous aurons donc de quoi échanger, nous aussi, à la lumière de ces rencontres.

Sur le tas

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Premier constat à l’issue d’une semaine de Mondial : les nations majeures semblent apprendre en jouant. Mis à part l’Irlande, qui a su se débarrasser du Canada, l’Argentine qui a tout donné face aux All Blacks sans parvenir à l’emporter, et l’Ecosse qui a expliqué aux Japonais – un peu sur les rotules, c’est vrai Mathieu, après avoir amoché les Boks – ce qu’étaient les fondamentaux de ce jeu, les autre membres du G8 ont pioché. Et la palme du coup de pelle dans le vide revient au XV de France, horrible vainqueur de la Roumanie après avec été un gagnant maladroit face à l’Italie.

Anglais, Gallois, Australie et Néo-Zélandais s’en sortent sans convaincre, quand les Sud-Africains, bouffis de morgue et désormais têtes basses, se sont déjà inclinés. On peut donc se poser la question de savoir à quoi  servent quatre ans pour bosser et sélectionner si les Japonais nous ont montré que cinq mois suffisent pour réussir un coup ? Bémol : ce coup d’épée ne touchera sans doute que l’eau car au calcul des bonus, Sud-Africains et Ecossais devraient terminer en tête de cette poule B, les Samoans y jouant le rôle d’arbitre.

Brouillon puis bouillie. Que nous réserve ensuite le XV de France face au Canada, jeudi 1er octobre à Milton Keynes, l’antre anglais de la Formule 1 ? On parlera de réglages à effectuer, forcément. Mais malgré ses flèches noires, Fofana, Fickou et son aérodynamique Guitoune, la France est loin de son meilleur tour en piste. Alors de là à imaginer décrocher la pole-position… A ce rythme-là, elle est promise à l’Irlande et nous irons à Cardiff le 17 octobre pour rêver d’un nouvel exploit, huit ans après celui d’une nuit de folie où l’on s’était mis sous le toit.

On va faire court, à l’image de cette première semaine mondiale. Qu’avons-nous aimé ? Le Japon. Mais après Brighton, il s’est fait jeter. Quatre jours pour affronter l’Afrique du sud puis l’Ecosse, c’est inhumain et injuste. «That’s not cricket», dirait notre ami Brian Moore. Les Japonais, qui ont enflammé ce début de compétition, n’ont pas ce qu’ils méritent. Cela dit, il n’est pas certain qu’avec trois jours supplémentaires, ils seraient parvenus à battre cette équipe d’Ecosse made in Cotter, vive, intelligente, adroite, rusée. Mais au moins ils auraient eu toutes les chances.

Nous verrons bien dimanche comment les Irlandais vont s’y prendre avec cette Roumanie. Avant cela, il y aura surtout deux gros chocs : le tellurique Afrique du sud – Samoa, et ne vous attendez pas à du bonus offensif ; suivi d’un spectaculaire Angleterre-Galles, premier vrai tournant de cette Coupe du monde. Puis il nous faudra rejoindre Milton Keynes par une route sinueuse et mal carrossée.

Soleil rouge

Japonn

Et avec un formidable mépris pour la règle tacite qui veut qu’on frappe une pénalité à la dernière seconde pour obtenir le match nul, les Japonais se sont saisis du ballon à la main pour aller inscrire l’essai de la victoire. Ils sont les héritiers de William Webb Ellis et, s’ils ne reçoivent pas le trophée éponyme le 31 octobre à Twickenham l’auront quand même bien mérité. Brighton, 19 septembre 2015. Gravé dans le marbre de nos mémoires comme un retour au sources d’une modernité qu’on aimerait mieux partagée.

Le premier tour est passé. Le monde ovale coupe à carreau.  D’entrée voici les Springboks éjectés. Une page écrite avec du bruit, de la fureur, de la folie même. Une fois bien balancée la cérémonie d’ouverture en prélude à un arbitrage vidéo intempestif qui promet des arrêts sur images lénifiants, j’avoue avoir douté. La réalité n’existe donc pas ? Le virtuel seul commande. C’est d’époque. Un arbitre revient sur sa décision parce qu’un verbalisateur dans sa cabine lui suggère de remonter le temps comme lui remonte les images. Tout serait donc affaire d’angle. De prise de vue. Est-ce objectif ?

Le rugby, forcément subjectif, est souvent injuste par nature. On écrit ensuite l’histoire, on capte des témoignages éclairants. Le rugby est un roman, finalement. De capes et d’effets. Il suffit de lire les commentaires laissés au bas de notre Top 100. A chacun manque ses héros, ceux de nos enfances, à jamais pour un crochet, une image, un souvenir.

On a trouvé les Anglais empesés, des Irlandais et des Gallois assurés, un XV de France rassuré (c’est le XV de la France, maintenant, rassemblée) après quatre ans de doute, la Nouvelle-Zélande secouée. On attend l’Australie et l’Ecosse. Le tour est fait. Cinq nations susceptibles d’être sacrées championnes du monde. Mais on s’en fiche un peu, pour l’instant… Dans Coupe du monde, il y a monde. On aura le temps de revenir à la Coupe.

Japon, surtout, mais aussi Géorgie, Fidji, Tonga, Samoa et Etats-Unis nous rappellent que le rugby n’est pas circonscrit au G8 . Tous les quatre ans ce jamboree nous fait voyager. Quand je vois ce que mettent Japonais et Georgiens d’engagement et de panache, je me dis que les nantis pourraient prendre exemple.

La pratique du rugby est partout étalonnée. Les schémas (on appelle ça des chaînes de jeu, c’est vilain, ça fait condamné aux travaux forcés) sont les mêmes. Dans ce Mondial, j’ai compté sept entraîneurs néo-zélandais (Cotter, Schmidt, Hansen, Haig, Crowley, Gatland, McKee), sans tenir compte des adjoints. Uniformisation ? Samedi, le Japon nous a montré qu’en utilisant des espaces libres, en puisant dans sa culture, en transformant un point faible en avantage (la taille, par exemple)  et une caractéristique – la vivacité – en principe, il était possible de terrasser des montagnes.

C’est le sens qu’on peut donner à l’exploit japonais qui, je l’espère, deviendra un succès quand d’autres victoires auront montré qu’il n’était pas sans lendemains qui chantent. J’aimerais trouver une chute digne de l’instant vécu à Brighton. J’entends une immense clameur, je vois de joie des larmes couler. Merci Sylvie. Parfois mieux vaut ne pas fermer trop vite les portées et laisser la coda. Attendons mercredi sur Comme Fou. Et rendez-vous à Gloucester.

Et parce qu’on est jamais mieux servi que par soi-même, voici – my style of swing – ce que j’aurais aimé joué au piano – si j’en avais trouvé un au Queens Hotel de Brighton – pour mon anniversaire (cuvée 1959) ce 20 septembre.